Au Fil des Climats : comment ont-ils sculpté l'humanité ?

CLIMAT

Niels Dutrievoz & Marie Bouchet

3/10/202411 min read

Aujourd'hui, la température de la Terre se réchauffe de +0,3 à 0,4°C tous les 10 ans. C'est un changement au moins 15 fois plus rapide que ce qui a été observé sur les derniers millions d’années.

En réponse au changement climatique, notre planète et notre environnement se métamorphosent. Saurons-nous composer avec ces changements ? Pour répondre à cette question, nous vous proposons de voyager dans le temps dans cette série d'articles Au Fil des Climats. Nous y observerons que l’histoire du climat et des humains a toujours été intimement liée.

Depuis la formation de la Terre, il y a 4,6 milliards d’années, le climat a oscillé entre froid et chaud. Ces fluctuations peuvent être dues aux mouvements des plaques tectoniques, à l’activité volcanique, à la distance et à la position de la Terre vis-à-vis du soleil, ou même à nous. On peut s’en rendre compte en regardant l’évolution de la température moyenne à l’échelle du globe sur les 500 derniers millions d’années.

Durant l’optimum climatique de l’éocène*, il y a environ 50 millions d’années, la température moyenne à la surface de la Terre a pu atteindre 32°C. Si vous aviez voulu vous baigner dans l’océan au niveau des tropiques, vous auriez trouvé l’eau bien chaude puisqu’elle était à 40°C. Même au Groenland, des crocodiles se la coulaient douce au soleil. Depuis 35 millions d’années, nous sommes entrés dans une période de glaciation, c’est-à-dire qu’il fait assez froid pour que l’eau soit naturellement présente sous forme de glace dans certaines régions du globe ; d’abord au pôle Sud et depuis 2,6 millions d’années, au pôle Nord [1] ! Depuis 2,6 millions d’années, le climat oscille régulièrement entre des périodes plutôt froides, qualifiées de glaciaires, et des périodes plus chaudes, comme la période actuelle, que l’on appelle interglaciaires.

Les premiers humains seraient apparus il y a environ 2,8 millions d’années. Ils ont donc vécu ces oscillations climatiques entre périodes glaciaires et interglaciaires et les paléoanthropologues se questionnent sur la manière dont l’histoire de ces premiers humains est liée au climat.

“Le changement physique [climatique] est-il le pacemaker nécessaire ou les entités vivantes se poussent-elles elles-mêmes à évoluer et à disparaître ?”

Elizabeth Vbra, paléontologue, 1995.

Dans l’optique d’explorer les réponses possibles à cette question ouverte, nous allons avancer chronologiquement dans le temps et nous intéresser aux différents exemples qui témoignent de l’influence du climat sur l’Homme. Dans cet article nous nous intéresserons à la période qui s’étend d’il y a 3 millions d’années jusqu’au dernier maximum glaciaire, il y a 20 000 ans. Les dernières 20 000 années seront traitées dans de prochains articles.

Il y a d’abord un impact du climat sur l’évolution des humains

Commençons notre voyage 3 millions d’années en arrière

Au début du Pléistocène, de nombreuses espèces humaines se côtoient en Afrique. Parmi elles, l’Homo habilis, se déplace aussi bien dans les plaines en marchant que dans les milieux arborés en escaladant. Il y a deux millions d’années apparaît une nouvelle espèce : l’Homo erectus, “homme redressé”, qui abandonne peu à peu l’escalade et privilégie la marche au sol. Cette transition coïncide avec une variation des conditions climatiques vers des températures plus froides et une atmosphère plus sèche. En conséquence, les milieux arborés ont diminué pour laisser place à plus de prairies. On pense que c’est ce changement d’habitat qui aurait pu pousser l’espèce Homo erectus à délaisser l’escalade pour se consacrer à une vie au sol [2, 3]. Selon certains paléoanthropologues, l’expansion et la contraction des prairies a joué un rôle majeur dans la formation d’espèces nouvelles d'hominidés au sein des lignées Homo et Paranthropus (dont nous parlons ici). Les prairies se sont étendues et contractées de manière successive à travers l'Afrique au cours des 5 derniers millions d'années [4]. Il reste à déterminer dans quelle mesure ces changements ont eu un impact sur l'évolution humaine.

Le climat a modelé le nez humain

Une étude récemment publiée a montré que les populations vivant dans des conditions chaudes et humides développent des narines plus larges, tandis que celles vivant dans des climats plus froids et plus secs, comme l'Europe du Nord, se sont adaptées en développant des narines plus étroites [5]. Les biologistes précisent néanmoins que l’histoire évolutive humaine est complexe et la sélection naturelle résultant de la préférence d'un sexe pour certaines caractéristiques des individus de l'autre sexe pourrait également expliquer la taille et la forme du nez de chaque individu.

Il y a aussi un impact du climat sur les migrations passées

Migration de notre espèce hors de l’Afrique

Les plus anciens fossiles d'hominidés ont été découverts en Afrique, établissant ainsi notre origine sur ce continent, du moins jusqu'à preuve du contraire. Cette perspective africaine soulève une série de questions fascinantes quant aux voies empruntées par nos ancêtres pour quitter ce berceau ancestral et se disperser à travers l'Asie et l'Europe. En effet, les départs des premiers représentants du genre Homo hors du continent africain semblent être le fruit de plusieurs vagues migratoires distinctes. On estime que Homo erectus a entrepris cette aventure il y a près de deux millions d'années, tandis que Homo sapiens, notre espèce, aurait migré bien plus récemment, il y a environ 100 000 à 150 000 ans.

Marie Bouchet

Doctorante en paléoclimat

Niels Dutrievoz

Doctorant en modélisation du climat

Évolution de la température sur Terre sur les derniers 500 millions d'années par rapport à la température moyenne entre 1960 et 1990 (source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f5/All_palaeotemps.png)

Les ordres de grandeur à retenir, c’est que :

  • Aujourd'hui, la température de la Terre se réchauffe de 0,3 à 0,4°C tous les 10 ans. C'est un changement au moins 15 fois plus rapide que ce qui a été observé sur les derniers millions d’années.

  • Ce réchauffement entraîne la hausse du niveau des mers de 3 à 4 mm tous les ans.

Glossaire :

Optimum climatique de l’éocène : est l'un des épisodes climatiques les plus chauds des temps géologiques. C'était entre -56 et -48 millions d'années avant aujourd'hui, la température de la Terre était environ 29°C.

Peintures pariétales : peintures faites par les humains sur une paroi à l'intérieur d'une grotte. On oppose parfois cette forme d'art aux peintures rupestres qui sont réalisées par l'Homme mais sur des parois rocheuses en extérieur.

Sources :

[1] https://www.climate.gov/news-features/climate-qa/whats-hottest-earths-ever-been

[2] Stanley, S. M. (1992). An Ecological Theory for the Origin of Homo. Paleobiology, 18(3), 237–257. http://www.jstor.org/stable/2400815

[3] National Research Council (US) Committee on the Earth system Context for Hominin Evolution (2010). Understanding Climate’s Influence on Human Evolution. Washington (DC): National Academies Press (US) https://www.ncbi.nlm.nih.gov/books/NBK208097/

[4] Cerling et al. (2011). Woody cover and hominin environments in the past 6 million years. Nature 476, 51–56. https://doi.org/10.1038/nature10306

[5] Zaidi, AA et al. (2017). Investigating the case of human nose shape and climate adaptation. PLoS Genet 13(3): e1006616. https://doi.org/10.1371/journal.pgen.1006616

[6] Derricourt, R. (2005). Getting “Out of Africa”: Sea Crossings, Land Crossings and Culture in the Hominin Migrations. J World Prehist 19, 119–13. https://link.springer.com/article/10.1007/s10963-006-9002-z

[7] King G and Bailey G. (2006). Tectonics and human evolution. Antiquity, 80(308):265-286. doi:10.1017/S0003598X00093613

[8] Mithen, S., & Reed, M. (2002). Stepping out: a computer simulation of hominid dispersal from Africa. Journal of human evolution, 43 (4), 433-462. https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047248402905841

[9] Beyer, R.M.et al. (2021). Climatic windows for human migration out of Africa in the past 300,000 years. Nat Commun, 4889. https://doi.org/10.1038/s41467-021-24779-1

[10] Bond, J.D. (2019). Paleodrainage map of Beringia. Yukon Geological Survey, Open File 2019-2

[11] Tamm, E. et al. (2007). Beringian Standstill and Spread of Native American Founders. PLoS ONE 2(9): e829. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0000829

[12] Hoffecker, J.F. et al. (2016). Beringia and the global dispersal of modern humans. Evol. Anthropol., 25: 64-78. https://doi.org/10.1002/evan.21478

Le contexte étant posé, intéressons nous à l'impact du climat sur ces migrations en nous penchant sur les sorties d'Afrique des Homo sapiens. Pour quitter l'Afrique, nos ancêtres avaient besoin de terrains permettant une traversée à pied ou éventuellement en radeau. La région clé serait le nord de la mer Rouge, reliant l'Afrique de l'Est à la péninsule arabique [6,7]. Certains chercheurs avancent également l'idée que nos ancêtres auraient pu franchir le détroit de Bab-el-Mandeb, au sud de la mer Rouge [8], lorsque le niveau de la mer était considérablement plus bas qu’aujourd’hui. Cela suggère que nos ancêtres possédaient déjà des capacités de navigation rudimentaires. Pourtant, ces régions étaient souvent arides, ce qui soulève la question de savoir ce qui a incité nos ancêtres à s'aventurer dans ces territoires hostiles.

Maintenant que nous avons tracé la voie pour quitter l'Afrique, il est important de rappeler que nos ancêtres étaient des chasseurs-cueilleurs. Cela implique que pour migrer hors d'Afrique, ils devaient traverser des régions propices à leur mode de vie, en suivant des troupeaux par exemple. Or, les régions d'Afrique de l'Est et de la péninsule arabique étaient souvent desséchées. Une des principales raisons qui expliquent la sortie des Homo sapiens d'Afrique serait la présence de périodes humides rendant les régions traversables jusqu'à la péninsule arabique. Ces périodes humides, appelées les "périodes du Sahara vert", ont été identifiées à partir de marqueurs indirects du climat et de modèles numériques [9] . Ces études suggèrent que ces périodes du Sahara vert se sont répétées à plusieurs reprises : pendant la fin du Pléistocène, jusqu'au début du dernier interglaciaire. Cela ne signifie pas nécessairement que Homo sapiens soit sorti d'Afrique pendant chaque période humide, mais cela indique plutôt qu'une série d'épisodes humides successifs ont probablement ouvert des fenêtres migratoires périodiques, comme si une porte s'ouvrait et se refermait à intervalles réguliers.

Nos ancêtres seraient des plongeurs aguerris ?

Plus tard, lors de la dernière période glaciaire, certains de nos ancêtres habitaient les grottes de Lascaux en Dordogne et Cosquer dans les Bouches-du-Rhône (pour savoir à quoi ressemblait la Terre pendant une période glaciaire, notre article sur le sujet est disponible ici).

Des peintures pariétales* indiquent que ces individus partageaient leur quotidien avec des rennes et des pingouins, ce qui témoigne du climat plus froid qui caractérisait l’Europe à cette période. La grotte Cosquer est particulièrement intéressante puisque pour y accéder il faut emprunter un boyau qui est complètement immergé sous le niveau de la mer aujourd’hui.

Pour expliquer comment des hommes préhistoriques sont allés peindre des pingouins sur les parois de la grotte, il faut imaginer que le niveau marin était moins élevé qu’actuellement. Comme il faisait plus froid (-8°C en moyenne à l’échelle du globe), la quantité de glace sur Terre était plus importante et il y avait moins d’eau présente sous forme liquide. Le niveau des mers était environ 130 à 140 m plus bas qu’aujourd’hui et le littoral français se situait environ 8 km plus loin qu’aujourd’hui dans le sud est de la France et certains hommes ont alors pu accéder à la grotte dans les calanques près de Marseille.

Gauche : plan d’accès à la grotte Cosquer aujourd'hui (Source : https://plongerdubord.com/la-grotte-cosquer/). Droite : niveau des mers il y a 20 000 ans, au dernier maximum glaciaire (Source : https://www.floodmap.net/).

Dans ce paysage où le niveau marin était plus bas, Homo sapiens a profité de l’ouverture de certains passages pour coloniser l’Amérique

Entre -20 000 et -15 000 ans avant aujourd’hui, Homo sapiens aurait emprunté le pont terrestre de la Béringie, qui se situe au niveau de l’actuel détroit de Béring, pour traverser depuis la Sibérie vers l’Alaska. Les paléoanthropologues imaginent que les populations humaines de chasseurs-cueilleurs ont suivi les troupeaux de rennes et de mammouths qui devaient emprunter ce passage, ont ensuite peuplé l’Amérique du Nord et sont progressivement descendus pour coloniser le reste du continent.

Passage de la Béringie entre la Sibérie et l’Alaska [10]

Même si des données archéologiques, linguistiques et génétiques suggèrent des déplacements de populations humaines à travers la Béringie lors du dernier maximum glaciaire, cette hypothèse ne fait pas consensus (attention à ne pas confondre recherche et consensus, notre vidéo à ce sujet ici) et des scientifiques se penchent encore sur la question [11, 12].

Les variations du climat ont aussi influencé l’émergence, le développement et l’effondrement des civilisations

Dans ce premier article, nous nous sommes penchés sur l'influence du climat sur l'humanité, de ses débuts il y a 3 millions d'années jusqu'à il y a 20 000 ans. Cependant, il est indéniable que même sur une échelle plus récente, le climat a joué un rôle crucial dans le façonnement, l'adaptation, voire la chute de nos sociétés. Des prémices des premières civilisations aux déplacements migratoires actuels, en passant par les épisodes d'effondrement de civilisations comme celui des Vikings, l'empreinte du climat sur notre évolution demeure incontestable.

Si ces sujets vous intéressent, restez attentifs aux prochains articles de la série Au fil des Climats. Nousy questionnerons la dépendance, lavulnérabilité et la résilience des sociétés face aux changements climatiques et à leurs conséquences.

Élan aux bois (-18 000 ans, Lascaux, Dordogne), pingouin (-27 à -19 000 ans, Cosquer, Bouches-du-Rhône)