Sur les traces des premiers humains…

BIODIVERSITÉ

Marie Bouchet

10/14/20238 min read

Si l’on condense l’histoire de la Terre en une journée de 24 heures, alors la Vie entre en scène entre 1h et 4h du matin. Les dinosaures règnent pendant près d’une heure entre 22h40 et 23h40. Les premiers humains se manifestent aux alentours de 23h59 et ce n’est que cinq secondes avant minuit, que nous nous faufilons dans le décor.

L’espèce Homo sapiens, à laquelle nous appartenons, serait née il y a 300 000 ans. Elle est la dernière représentante actuelle du genre Homo. Mais d’autres espèces ayant aussi appartenu au genre Homo ont laissé des traces plus anciennes, qui remontent jusqu’à 2,8 millions d’années [1].

Comprendre l’évolution de l’Homme c’est comme essayer de désenchevêtrer les branches d’un arbre généalogique tortueux. Les diverses populations humaines anciennes constituent autant de branches qui se sont développées, séparées, croisées, et parfois même combinées. A ces divergences et métissages s'ajoute la disparité des données génomiques et fossiles (souvent partielles et dont la datation n’est pas précise), ce qui entrave la quête des origines de l’Homme… Afin de s’y retrouver dans ce sac de nœuds, les scientifiques s’essayent à plusieurs méthodes.

En trouvant de nombreux points communs entre la croissance des enfants Paranthropus Robustus et celle des enfants humains, le professeur Braga et son équipe confirment que les Paranthropus Robustus constituent des parents plus proches de l’Homme que les Australopithecus Africanus. L’équipe de paléoanthropologues a tout de même identifié des différences notables entre les paranthropes et les humains. Les jeunes Paranthropus Robustus se développent bien plus rapidement que leurs Homo-logues, leur cerveau par exemple atteignait sa taille adulte aux alentours de trois ans.

«L’enfance des paranthropes devait être étonnamment rapide, bien plus que pour de nombreuses espèces actuelles de grands singes, chimpanzés et gorilles»

Carte des sites majeurs où des fossiles d'Homininés ont été découverts [2, 4].

Stratégie n°2 : Tester différents scénarios pour décrire l’évolution de l’Homme.

Certains anthropologues font appel à une espèce fantôme, c’est-à-dire une espèce qui aurait existé mais dont nous n’aurions pas encore trouvé de traces fossilisées. Un croisement entre cet ancêtre fantôme lointain et des espèces d’Homininés permettrait de répondre aux questions laissées sans réponse. Mais, fantôme oblige, aucun fossile ne permet de confirmer cette théorie…

L’équipe menée par Aaron Ragsdale aborde différemment la question et utilise un modèle démographique, c’est-à-dire un scénario simplifié décrivant l’évolution des premiers humains en Afrique de manière informatique.

Ils suggèrent de tester quatre des hypothèses jusqu’ici proposées par la communauté scientifique : les scénarios a, b, c et d. Ces scénarios permettent tous de répondre aux questions initiales des scientifiques mais ils ne sont pas pour autant exacts. Afin d’évaluer leur plausibilité, ils sont confrontés à l’ADN humain actuel. Pour tester au mieux leur hypothèse, les scientifiques ont utilisé 290 génomes provenant d’individus d’Afrique du sud, de l’ouest et de l’est mais aussi d’Eurasie.

Selon Aaron Ragsdale et son équipe, les études précédentes qui défendent la théorie du monogénisme sont moins pertinentes. Ils citent deux principales limites : l’hypothèse n’a pas été testée avec un échantillon de données génomiques assez large et diversifié et elle n’a pas été confrontée à assez d’hypothèses alternatives (deux au maximum). Ils ajoutent que l’origine multirégionale serait plus cohérente avec les différents changements climatiques passés et les métissages et migrations qui ont pu en découler.

Comment expliquer alors la naissance du genre Homo ?

Lorsque le paléontologue Yves Coppens évoque en 1980 « l’(H)omo Event », il désigne un dessèchement du climat qui aurait affecté la vallée de l’Omo en Ethiopie il y a trois millions d’années [7]. Selon lui, la transition d’un climat humide vers un climat plus aride aurait entraîné la transition du genre Australopithecus (adaptés à des milieux arborés) vers les espèces du genre Homo (bipèdes, adaptés à des milieux ouverts). De la même façon, d’autres espèces comme les éléphants, cochons et rhinocéros auraient pallié cette crise climatique en s’adaptant à un environnement plus sec. Par exemple, leurs dents se sont allongées, ce qui leur a permis de mastiquer des végétaux plus rigides et plus fibreux.

Des changements climatiques plus récurrents, comme le cycle des glaciations qui se succèdent depuis 2,6 millions d’années, ont eux aussi affecté l’évolution de l’Homme. Les populations humaines ont prospéré ou bien divergé et migré vers d’autres régions, certaines populations se sont mêlées à d’autres groupes…

En somme, l’histoire évolutive de l’Homme est complexe et à mesure que les chercheurs secouent le sac de nœud, les théories se révèlent bancales et s’étiolent…

Parviendrons-nous à remonter la piste de nos propres traces ?

Les scientifiques identifient les critères clés nécessaires au succès d’un scénario comme étant (a) l'expansion récente et (d) l’origine multirégionale.

D’après l’hypothèse de l’origine multirégionale de l’Homme, notre évolution n’est pas une série de remplacements d’une population par une autre. Elle est plutôt diffuse, résultant de nombreux échanges génétiques entre populations. L’origine de l’Homme serait multiple et son évolution permise par un grand métissage [6]. Cette théorie est une alternative à l’hypothèse plus largement acceptée : le monogénisme, qui suggère qu’une seule branche commune est à l’origine de l’évolution de l’Homme.

Les glaciations sont des ères glaciaires qui se succèdent tous les 40 000 à 120 000 ans depuis 2,6 millions d’années. Entre les glaciations, la Terre connaît des périodes plus chaudes, semblables à l’ère actuelle.

Sources :

[1] Villmoare, B., Kimbel, W.H., Seyoum, C., Campisano, C.J., Dimaggio, E.N., Rowan, J., Braun, D.R., Arrowsmith, J.R., Reed, K.E., Early Homo at 2.8 Ma from Ledi-Geraru, Afar, Ethiopia, Science, 347, 1352-1355, DOI:10.1126/science.aaa1343, 2015.

[2] Braga, J., Wood, B., Zimmer, V., Moreno, B., Miller, C., Thackeray, J., Zipfel, B., Grine, F., Hominin fossils from Kromdraai and Drimolen inform Paranthropus robustus craniofacial ontogeny, Sci. Adv., 9, 7165, DOI:10.1126/sciadv.ade7165, 2023.

[3] Dart, R., Australopithecus africanus The Man-Ape of South Africa, Nature, 115, 195–199, DOI:10.1038/115195a0, 1925.

[4] Clement, A. and Hillson, S., Do larger molars and robust jaws in early hominins represent dietary adaptation? A New Study in Tooth Wear, Archeol. Int., 16, 59-71, DOI:10.5334/ai.1605, 2013.

[5] Ragsdale, A.P., Weaver, T.D., Atkinson, E.G., Hoal, E.G., Möller, M., Henn, B.M., Gravel, S., A weakly structured stem for human origins in Africa, Nature, 617, 755–763, DOI:10.1038/s41586-023-06055-y, 2023.

[6] Wolpoff, M.H., Thorne, A.G., Smith, F.H., Frayer, D.W., Pope, G.G., Multiregional Evolution: A World-Wide Source for Modern Human Populations, in: Nitecki, M.H., Nitecki, D.V. (eds) Origins of Anatomically Modern Humans, Interdisciplinary Contributions to Archaeology, Springer, Boston, MA, DOI:10.1007/978-1-4899-1507-8_9, 1994.

[7] Mulot, R. et Coppens, Y., Qu'est-ce que l'Homme ? 100 scientifiques répondent, Dossier Hors-série Sciences et Avenir n°169, 2015.

[8] What is genomics data?

Glossaire :

La génomique constitue l’étude du génome d’un individu, c’est-à-dire l’ensemble de ses chromosomes et de ses gènes. Si les gènes s'apparentent aux mots, alors la génomique s’intéresse à l’ouvrage dans son intégralité, donc à l'interaction entre les mots, les paragraphes et les chapitres [8].

L'évolution par réticulation concerne la lignée B. Elle est issue d'un transfert horizontal entre les lignées A et C (pointillés bleus). Elle possède deux ancêtres. A l’inverse, les lignées A et C sont toutes deux issues d’un ancêtre commun.

J. Braga

Les quatre enfants appartenaient à l’espèce Paranthropus Robustus et seraient morts avant d’atteindre l’âge de trois ans. Les fossiles d'enfants homininés d'Afrique australe sont rares, mais précieux parce qu'ils fournissent des informations importantes sur le développement des caractéristiques qui distinguent les individus adultes de différents genres (Homo, Australopithecus, Paranthropus…) ou espèces (Homo Neanderthalensis, Homo Sapiens, Homo Erectus...). Les individus appartenant au genre Homo se démarquent avec une boîte crânienne plus volumineuse, et parmi ces individus, notre espèce est singulière de par sa morphologie, moins trapue que celle de l’Homo Neanderthalensis par exemple, qui fait en moyenne 1,65 m pour 90 kg.

Le Paranthropus Robustus est-il le plus proche parent de l’Homme ? Jusqu’à aujourd’hui, seuls des ossements d’enfants australopithèques permettaient d’étudier la croissance d’espèces apparentées au genre Homo. L’enfant de Taung par exemple, exhumé en 1924 par Robert Dart, est un Australopithecus Africanus : une espèce plus ancienne et plus éloignée du genre Homo que le Paranthropus Robustus [3]. Les enfants de Kromdraai et Drimolen partagent davantage de caractéristiques avec les premiers hommes, avec qui leur espèce – Paranthropus Robustus – a coexisté.

L’ordre de grandeur à retenir c’est que si l’on condense l’histoire de la Terre en une journée de 24 heures, alors les premiers humains se manifestent aux alentours de 23h59 et ce n’est que 5 secondes avant minuit, que notre espèce entre en scène.

Marie, doctorante en paléoclimatologie et glaciologie

Les quatre scénarios testés par l'équipe du chercheur Aaron Ragsdale [5].

Parmi les quatre scénarios testés, ceux qui obtiennent le meilleur accord avec les données génétiques sont ceux proposant de nombreuses migrations et réticulations entre les populations humaines anciennes (a, b et d). Le scénario qui est en revanche le moins plausible propose un croisement entre nos ancêtres et une espèce fantôme, deux branches isolées depuis longtemps (c).

C’est la méthode suivie par l’équipe du chercheur Aaron Ragsdale [5].

En utilisant l’informatique pour analyser l’ADN humain actuel, il est possible de remonter le temps et d’obtenir des indices sur la façon dont ont évolué nos gènes. Lorsque les scientifiques remontent cette piste, ils se heurtent à plusieurs questions sans réponses et avancent diverses hypothèses.

Par exemple, est-ce que nous pourrions avoir un ancêtre « fantôme » ?

C’est la méthode adoptée par l’équipe du paléoanthropologue José Braga. Les scientifiques ont exhumé les fossiles de quatre enfants décédés il y a près de deux millions d’années dans les grottes de Kromdraai et Drimolen en Afrique du Sud. Cette découverte leur a permis, pour la première fois, de reconstituer la croissance du plus proche parent du genre Homo : le paranthrope (aujourd’hui disparu) [2].

Stratégie n°1 : Examiner les ossements fossiles des premiers humains.