A quand la prochaine ère glaciaire ?

CLIMAT

Marie Bouchet

11/25/202311 min read

Selon une étude récente [1], l’humanité va repousser la prochaine ère glaciaire d’au moins 100 000 ans, donc ce n’est pas pour tout de suite...

Pour comprendre ce que sont les ères glaciaires et d’où elles viennent, il faut s’intéresser à l’histoire de la Terre et plus particulièrement à l’histoire du dioxyde de carbone.

Le CO2, ou dioxyde de carbone, est un gaz qui est présent dans l’atmosphère depuis que la Terre s'est formée il y a environ 4,6 milliards d'années. À ce moment-là, l'air était principalement constitué de vapeur d’eau, de diazote et de CO2 [2]. En comparaison, aujourd’hui l’atmosphère est principalement composée de diazote et d’O2.

A la naissance de la Terre, les températures étaient plus chaudes qu’aujourd’hui, d’environ 14°C en moyenne [3]. Au cours des derniers milliards d’années, la Terre s’est refroidie tout doucement. Une partie de la vapeur d'eau s’est condensée pour former les océans qui ont absorbé une partie du CO2 [4].

Ces océans ont vu se développer les premières formes de vie : de petits micro-organismes qui peuplaient exclusivement les mondes marins. Il y a environ 2 milliards d’années, certaines bactéries ont commencé à faire la photosynthèse : elles créent alors du glucose et du dioxygène à partir de CO2, d'eau et de la lumière du soleil. Ce processus a grandement modifié l’atmosphère : de plus en plus de CO2 a été consommé et, il y a 20 millions d’années, la quantité de CO2 dans l'air est devenue inférieure à 300 parties par million (ppm), soit moins de 300 molécules de CO2 pour un million de molécules dans l’air. La vie sur Terre telle que nous la connaissons s’est développée dans ces conditions et nous aussi, notre espèce étant apparue il y a environ 300 000 ans.

Pour résumer, si l’on condense l’histoire de la Terre en une journée de 24 heures, alors les premiers océans se forment vers 1h du matin. Ils sont le berceau des premières formes de vie qui naissent lors des trois heures suivantes et vont jouer un rôle essentiel dans l’histoire du climat.

frise_chrono_24H_Terre
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La succession des cycles glaciaires-interglaciaires est provoquée par des changements dans l'orbite de la Terre autour du Soleil se déroulant sur de longues échelles de temps. Ces variations orbitales affectent la distance Terre-Soleil et donc la quantité d’énergie solaire reçue à la surface de la Terre. La position de la Terre sur son orbite varie elle aussi, ce qui modifie son inclinaison par rapport au Soleil et donc la répartition de l’énergie solaire reçue à la surface du globe.

En utilisant des outils informatiques, des scientifiques calculent l’évolution temporelle de ces différents paramètres et arrivent à prédire l’évolution de l’insolation : l’énergie solaire reçue en un point de la Terre [6]. L’insolation évolue très lentement, 10 000 ans séparent un minimum d’un maximum d’insolation au Groenland par exemple.

Succession de couches de glace en Antarctique (Elaine Hood, NSF, U.S. Antarctic Program photo library)

Pourquoi y a-t-il une alternance entre périodes glaciaires et interglaciaires ?

Les variations de l’insolation ont un impact sur les différentes composantes du système Terre :

Comment déclencher une ère glaciaire ?

On peut imaginer que la Terre est comme une équilibriste qui déambule sur la courbe rouge :

Par exemple, si l’insolation au Groenland diminue, alors chacune des composantes est impactée :

  • La température des océans et de l’atmosphère diminue.

  • Le CO2 atmosphérique est d’avantage absorbé par les océans (entrainant un refroidissement supplémentaire en raison d'un affaiblissement de l'effet de serre*).

  • La couche de glace s’épaissit (entrainant un refroidissement supplémentaire en raison d'une amplification de l’albédo*).

Glossaire :

Biosphère : Ensemble des organismes vivants.

L'effet de serre est un mécanisme naturel par lequel les gaz naturellement présents dans l’atmosphère (vapeur d’eau, CO2, méthane, ozone,…) retiennent une partie de la chaleur émise par notre planète (plus d'info ici).

Albédo : La glace est très réfléchissante, donc elle permet de renvoyer une partie de l'énergie solaire reçue à la surface de la Terre vers l'espace. L’albédo permet de quantifier cette part d’énergie qui est réfléchie. Les changements dans la surface des calottes glaciaires, des glaciers et de la glace de mer modifie l'albédo de la surface terrestre.

Anthropocène signifie « ère de l'être humain ». C’est une proposition faite par les scientifiques Paul Josef Crutzen et Eugene Stoermer pour désigner une nouvelle époque géologique qui aurait débuté quand l'influence des humains sur la géologie et les écosystèmes est devenue significative à l'échelle de l’histoire de la Terre. Selon eux, l'Anthropocène aurait débuté à la fin du XVIIIe siècle avec la révolution industrielle, et succéderait ainsi à l'Holocène.

Les GES sont les gaz qui participent à l’effet de serre comme la vapeur d’eau, le CO2, le méthane, l’ozone ou le protoxyde d’azote.

Anthropique : Lié à l'existence, à l’activité ou à la présence d'humains.

Notamment, au cours des périodes glaciaires qui se sont produites environ tous les 40 000 à 120 000 ans. Ces périodes froides peuvent durer près de 100 000 ans et se caractérisent par :

  • Des températures plus froides : -5 °C à l’échelle de la Terre.

  • Un niveau des mers plus bas : jusqu’à -120 m, ouvrant des passages entre l’Alaska et l’Asie ou encore entre l’Angleterre et la France.

  • Une épaisse couche de glace au pôle Nord, s’étendant depuis le Groenland jusqu’au Nord de l’Europe.

  • Des concentrations atmosphériques en CO2 faibles : < 200 ppm.

Ces périodes glaciaires sont entrecoupées de périodes chaudes et courtes (5 000 à 20 000 ans), les périodes interglaciaires.

Les ordres de grandeur à retenir sont que :

  • L’activité humaine est responsable d’une accumulation de CO2 dans l’atmosphère et cela rend impossible l’amorce d’une ère glaciaire lors des 100 000 prochaines années.

  • La période chaude actuelle, l’Holocène, durera au moins 10 fois plus longtemps que les périodes interglaciaires passées.

Marie, doctorante en paléoclimatologie et glaciologie

Au cours de ces 800 000 dernières années, on discerne une alternance entre les périodes glaciaires (en bleu) associées à des teneurs en CO2 faibles, et les périodes interglaciaires (en rouge) associées à des teneurs en CO2 plus élevées.

L’analyse des bulles d’air piégées dans la glace au Groenland et en Antarctique montre que la composition en CO2 a connu des niveaux particulièrement bas lors du dernier million d’années.

L’histoire du CO2 depuis la naissance de la Terre
Le cycle des périodes glaciaires et interglaciaires ?

Alternance des périodes glaciaires et interglaciaires caractéristiques de la période géologique du Quaternaire ayant débuté il y a 2,6 millions d'années (illustration de @CireniaSketches)

Évolution du CO2 et de la température en Antarctique lors des derniers 800 000 ans [5]

Composantes du système Terre [7]

Cette courbe rouge, c’est l’insolation au Groenland sur les derniers 150 000 ans (à gauche) et prolongée sur les futurs 150 000 ans (à droite). Lorsque l’insolation est élevée, notre funambule (la Terre) se trouve sur une bosse de la courbe rouge. La courbe noire représente un seuil qui évolue en fonction de la teneur en CO2 dans l’atmosphère sur les derniers 150 000 ans. Lorsque la concentration atmosphérique en CO2 diminue, le seuil augmente. Le seuil dépasse parfois l’insolation, la zone bleue, qui remplit le bas de la figure jusqu’au seuil, inonde alors certains creux de la courbe rouge.

D’après le modélisateur Andrey Ganopolski et son équipe, deux conditions sont nécessaires pour déclencher une ère glaciaire :

  • Première condition : La Terre doit se déplacer vers un minimum d’insolation au Groenland, c’est-à-dire vers un creux de la courbe rouge.

  • Deuxième condition : La courbe rouge doit passer en-dessous de la courbe de noire et le creux doit être inondé. Cela signifie que l’insolation au Groenland doit diminuer au point de passer sous un seuil critique. D’après les scientifiques, la valeur de ce seuil dépend de la concentration atmosphérique en CO2 [1].

En fait, c’est assez logique, plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus l’effet de serre est important et plus il entraîne un réchauffement. Il faut alors une insolation très très faible pour assez refroidir la Terre au point de déclencher une ère glaciaire. Donc plus il y a de CO2 dans l’atmosphère, plus le seuil en dessous duquel doit passer l’insolation est faible.

Il y a 115 000 ans, l’insolation est passée au-dessous du seuil (au niveau de l’étoile jaune). Le creux que forme le minimum d’insolation était inondé et la Terre a plongé dans une période glaciaire. C’était la dernière période glaciaire avant aujourd’hui. Elle a duré près de 100 000 ans jusqu’à ce que le climat se réchauffe petit à petit il y a une dizaine de milliers d’années. Nous sommes alors entrés dans la période interglaciaire actuelle : l’Holocène.

Prenons l’exemple de la situation 1 sur la figure :

Il y a environ 200 ans, c’était un peu avant la révolution industrielle. Selon Andrey Ganopolski et son équipe, nous aurions à ce moment-là loupé de justesse une ère glaciaire. Si la Terre se trouvait bien dans un minimum d’insolation, ce creux ne se situait pas en dessous du seuil, donc la première condition était respectée mais pas la deuxième.

Les chercheurs évoquent deux raisons permettant d'expliquer cela :

Première raison : A ce moment là, l’insolation au Groenland était bien minimale (étoile noire). Mais ce minimum était relativement élevé par rapport aux autres.

Si l’on regarde maintenant la situation 2 sur la figure :

Deuxième raison : La concentration atmosphérique en CO2 était assez élevée à ce moment-là (280 ppm). D’après les scientifiques, cette quantité importante de CO2 diminue le seuil à franchir pour déclencher une glaciation, ce qui a empêché l’entrée dans une ère glaciaire. En d’autres termes, la concentration élevée en CO2 a fait baisser le niveau du seuil et la zone bleue n’inondait pas le creux.

Pour comprendre pourquoi, il faut s’intéresser à la position de la Terre vis-à-vis du Soleil. A ce moment-là, la forme de l’orbite était proche d’un cercle. Donc lorsque la Terre tourne autour du Soleil, la distance entre les deux astres reste quasiment la même. La Terre reçoit continuellement la même quantité d’énergie et l’insolation ne varie pas beaucoup. C’est flagrant sur la figure où l’amplitude qui sépare les bosses et les creux est plus faible aujourd’hui qu’il y a 120 000 ans.

En plus de ça, la Terre était très inclinée vers le Soleil, si bien que le Groenland a connu des étés particulièrement chauds plusieurs années de suite.

Si la Terre avait été moins penchée, l’insolation au Groenland aurait été plus faible que le seuil ; et le creux aurait pu se situer dans la zone bleue.

Insolation reçue en différents points de la Terre selon son inclinaison vis-à-vis du Soleil [7]

Dès le début du XXème siècle, les scientifiques, notamment le suédois Niels Ekhom, avaient compris que les émissions de CO2 issues de l’activité des Hommes pourraient empêcher le retour d’une ère glaciaire [8].

Pour William Ruddiman, l’Anthropocène* a commencé il y a des milliers d’années, bien avant la révolution industrielle. L’exploitation des sols, la déforestation et les cultures de riz en Eurasie, débutées entre -8000 et -5000 ans avant aujourd’hui, auraient contribué à augmenter la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre (GES)*. D’après le professeur, cette augmentation ne peut pas être expliquée par des facteurs naturels [9].

Cependant, l’équipe du chercheur Thomas Stocker a utilisé un modèle de climat intégrant le cycle du carbone pour évaluer l’impact de l’activité humaine sur les émissions de CO2 lors des derniers 10 000 ans [10]. D’après eux, le développement de telles activités agricoles il y a 8000 ans ne suffit pas à expliquer l’augmentation en GES. Ces activités y ont certainement contribué, mais il est nécessaire d’invoquer d’autres facteurs pour expliquer cette forte augmentation en CO2.

Si cette question reste ouverte, d’autres suscitent moins de débat…

A quand la prochaine ère glaciaire ?

Depuis la révolution industrielle, ces émissions anthropiques* de CO2 se sont intensifiées et accélérées à cause de la combustion des ressources fossiles (pétrole, charbon), si bien que la concentration atmosphérique en CO2 a atteint 417 ppm cette année. Ce niveau, et la rapidité avec laquelle il a été atteint, sont sans précédent sur le dernier million d’années comme en témoignent les bulles d’atmosphère ancienne piégées dans la glace polaire. Les scientifiques sont certains que les émissions de CO2 liées à l’activité humaine en sont entièrement responsables [11].

Cette forte concentration en CO2 a pour effet de diminuer grandement le seuil critique à franchir par l’insolation pour déclencher une ère glaciaire. L’équipe du chercheur Andrey Ganopolski conclut que l’activité humaine a repoussé la prochaine ère glaciaire d’au moins 100 000 ans [1].

Il est difficile de prédire avec certitude quand aura lieu la prochaine ère glaciaire car cela dépend des émissions de CO2 futures. Plusieurs scénarios sont donc possibles selon les choix que nous allons faire. Le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat (GIEC) a tenté de dresser un tableau de ces différents scénarios possibles : du bleu, si l’on diminue fortement nos émissions de CO2, au rouge foncé si au contraire, on les accélère. Pour chacun des scénarios futurs, les scientifiques ont prédit l’impact correspondant sur la température et la concentration en CO2.

Gigatonnes de CO2 émises selon différents secteurs d'activité humaine [12]

Évolution passée et future des émissions de CO2 et de la composition atmosphérique correspondante selon différents scénarios [13]

En analysant la glace provenant d’un forage profond de 3200 m en Antarctique, les scientifiques ont pu reconstruire les variations de la température et de la concentration atmosphérique en CO2 au cours des derniers 800 000 ans [5] :