Qui souffre du réchauffement climatique?

CLIMATÉCONOMIEENVIRONNEMENTSOCIOLOGIE

Charlotte Janson

11/19/20236 min read

white and black ship on sea under white clouds
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Le rapport du GIEC parle d’une « double peine » des populations pauvres : ce sont ceux qui contribuent le moins au réchauffement climatique qui en subissent le plus les conséquences. Mais pourquoi ?

On a vu dans un précédent article (ici) que le réchauffement climatique était essentiellement dû aux pays les plus riches, et au sein de ces pays, aux individus les plus riches. Ici, on s'intéresse au contraire à ceux qui en souffrent le plus. Un article de 2020 des économistes Céline Guivarch et Nicolas Taconet fait un bilan de la littérature scientifique, et souligne qu’il existe deux types d’inégalités face au réchauffement climatique, qui se retrouvent à la fois entre les pays et en leur sein [1]. C'est sur cet article qu'on s'appuie principalement ici.

L'inégalité d'exposition

Cette première inégalité renvoie au fait que les populations les plus pauvres se trouvent dans des régions où les risques sont les plus importants. Mais pourquoi ?

Entre les pays : les pays les plus pauvres sont majoritairement situés dans l’hémisphère sud, qui subit plus le réchauffement climatique.

En effet, c’est dans ces régions que ses effets se font le plus sentir, “que ce soit le stress hydrique, l’intensité des sécheresses ou les vagues de chaleur, les pertes de rendements agricoles ou la dégradation des habitats naturels”. Les auteurs estiment alors que “l’exposition aux risques climatiques porte à environ 90 % sur l’Afrique et l’Asie du Sud-Est” [1].

De plus, les pays en développement sont particulièrement touchés par les catastrophes climatiques. Les Nations Unies considèrent comme étant “en développement” les principaux pays d’Afrique, d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Asie, et d’Océanie. Entre 1970 et 2019, ces pays ont connu :

  • 70% des catastrophes climatiques mondiales [2]

  • 90% des morts de catastrophes climatiques mondiales [2]

Au sein des pays : les zones les plus à risque sont habitées par les individus les plus pauvres

Les zones à plus fort risque climatique sont plus accessibles économiquement ! Cela s’explique par les lois du marché : là où il y a moins de demande de logements, ils sont moins chers, donc plus accessibles pour les personnes les moins dotées économiquement. En d’autres termes, les familles les plus modestes s’installent là où elles ont les moyens de vivre et de trouver un emploi.

C’est pourquoi les zones inondables, zones susceptibles de subir de fortes sécheresses, ou bien les lieux très pollués, comme les endroits situés près d’autoroutes ou d’aéroports par exemple, sont en grande majorité occupés par les ménages les plus pauvres de chaque pays.

Au sein des pays : richesse, âge, sexe, des exemples de facteurs de vulnérabilité

La richesse

Les populations pauvres plus vulnérables au quotidien. Elles ont moins de moyens financiers pour se couvrir contre les risques climatiques, et vivent plus souvent dans des logements de mauvaise qualité, mal isolés ou mal équipés (climatisation, chauffage notamment). On vous parle de la précarité énergétique dans une vidéo. Tout le monde n’a pas non plus accès à un système d’assurance climatique, permettant de faire réparer sa maison en cas d'incendie, d'ouragan ou de crue par exemple. Les assurances ça coûte cher, mais ça permet de diminuer les risques. De même, les individus sont inégalement protégés face aux maladies comme la malaria qui peuvent se propager plus facilement avec le réchauffement climatique, du fait de la prolifération des moustiques tigres notamment : on vous en parle ici en vidéo.

Il est important de noter qu’il y a alors un cercle vicieux puisque les individus les moins dotés sont les plus vulnérables, mais cette vulnérabilité peut les appauvrir en retour.

Le sexe 

Les femmes souffrent plus que les hommes du réchauffement climatique, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, les femmes sont plus souvent en charge, au sein du foyer, de la collecte de l’eau ou du bois, ce qui les rend plus vulnérables [1]. Par ailleurs, un rapport du Fonds de l’ONU pour la population (UNPFA) de 2023 a montré que les vagues de chaleur extrêmes et la pollution affectent la santé sexuelle et reproductive des femmes : maladies pendant la grossesse, accouchements précoces, mortalité élevée des bébés dans les premières semaines… Le réchauffement climatique et la pollution accroissent fortement ces risques [5]

L’âge 

Face aux vagues de chaleur, les populations les plus âgées sont plus fragiles. Elles sont plus susceptibles d’avoir des coups de chaleurs, ou d’être victimes de déshydratation ou d’hyperthermie. Lors de la canicule de 2003 en France, 80 % des victimes avaient plus de 75 ans par exemple [6]


Beaucoup d'autres facteurs peuvent jouer sur la vulnérabilité face au changement climatique, comme le niveau d'éducation, l'ethnie, etc. Tous ces constats sont essentiels pour guider l’action politique nationale et mondiale, mais également comprendre que les individus et les pays n’ont pas tous le même intérêt à lutter contre le réchauffement climatique.

L'ordre de grandeur à retenir, c'est que 90% des personnes décédées à cause des catastrophes climatiques entre 1970 et 2019 vivaient dans des pays en développement.

Charlotte, agrégée de sciences économiques et sociales, et doctorante en sociologie

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Glossaire :

stress hydrique : situation où la demande en eau est supérieure aux réserves disponibles.

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Sources :


[1] : Guivarch, C., & Taconet, N. (2020). Inégalités mondiales et changement climatique. Revue de l'OFCE, 165 (1), 35-70.

[2] : Organisation Météorologique Mondiale (OMM), (2021), Atlas de la mortalité et des pertes économiques dues à des phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes (1970-2019), OMM-N°1267

[3] : https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/11/09/dereglement-climatique-au-pakistan-les-inondations-marquent-un-tournant-dans-l-opinion-publique_6149138_3244.html

[4] : https://news.un.org/fr/story/2022/03/1116892

[5] : UNFPA, Queen Mary University of London, (2023), Taking Stock: Sexual and Reproductive and Health and Rights in Climate Commitments: A Global Review

[6] : Hémon, D, & Jougla, E. Surmortalité liée à la canicule d'août 2003: suivi de la mortalité (21 août-31 décembre 2003), causes médicales des décès (1-20 août 2003), (2004) Diss. Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM)

L’inégalité de vulnérabilité

Les pays en développement et individus les plus pauvres sont certes plus exposés aux catastrophes climatiques, mais il existe aussi une forte inégalité dans la gestion de ces catastrophes, la sensibilité à ces catastrophes, et dans la façon de s’y adapter.

Entre les pays : les pays les plus pauvres sont plus sensibles et ont une plus faible capacité d'adaptation

Cette carte présente l’indice de vulnérabilité des pays, construit à partir de plusieurs informations : l’exposition aux impacts du changement climatique (dont on a parlé précédemment), mais aussi la sensibilité et l’adaptation à ces impacts [1]. On constate alors que la vulnérabilité est inégalement répartie sur le globe terrestre :

Les pays pauvres sont plus sensibles face au réchauffement climatique, c'est-à-dire qu'il a plus d'impact sur eux que sur les pays plus riches. Prenons l’exemple de l’agriculture. Le réchauffement de la planète est désastreux pour ce secteur d’activité dans des pays où il fait déjà chaud, puisque cela provoque un fort stress hydrique, et de forts extrêmes de température journalière. Il est difficile d’avoir de bonnes récoltes dans ces conditions. De plus, une grande partie de la population dépend de ce secteur d’activité. A l’inverse, ce réchauffement permet à des pays comme l’Ecosse, où il fait habituellement froid et où l’agriculture est difficile, d’augmenter leurs rendements !

Les pays en développement ont aussi une plus faible capacité d'adaptation face aux impacts du changement climatique. Si on prend l'exemple des catastrophes climatiques, sur les cinquante dernières années, des catastrophes équivalentes ont provoqué 10 fois plus de morts dans les pays pauvres que dans les pays riches [1]. Comment l’expliquer ?

Suite aux inondations de 2022 au Pakistan, il y a eu plus de 1700 morts et des centaines de milliers de maisons et autres infrastructures détruites. Les médias et hommes politiques comme le premier ministre Shehbaz Sharif ont pointé du doigt la responsabilité des pays industrialisés, et les pertes ont été estimées à plus de 30 milliards de dollars [3]. Il y aurait sans doute eu moins de morts dans un pays riche, mais pourquoi ?

Les pays en développement ont moins de moyens financiers et techniques pour faire face aux catastrophes climatiques. Notamment, ils sont moins dotés en “systèmes d’alerte précoce”, c’est-à-dire l’ensemble des dispositifs techniques permettant d’anticiper l’arrivée d’une tempête, d’une crue, d’une vague de chaleur… Aujourd’hui, un tiers de la population mondiale n’est pas couverte par ces systèmes, et cela monte jusqu’à 60% pour les habitants d’Afrique. Le secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, a annoncé a annoncé l’objectif que la totalité de la planète devrait être protégée par ces dispositifs d’ici 2027 [4].