Qui réchauffe la planète ?

CLIMATÉCONOMIEENVIRONNEMENTSOCIOLOGIE

Charlotte Janson

10/7/20235 min read

green leaf tree under cloudy sky
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Les humains ont des activités qui accélèrent artificiellement le réchauffement de la planète. Cependant, est-ce qu’on en est tous responsables de la même manière ?

Quels pays émettent le plus ?

Dès que l’on produit des biens, que l’on se déplace ou qu’on se chauffe par exemple, cela participe à polluer la planète. En effet, cela engendre l’émission de carbone (CO2) et de nombreux autres gaz à effet de serre. L’unité “équivalent CO2 (CO2éq ou CO2e)” permet d’avoir une unité commune pour tous ces gaz, en tenant compte de leurs effets différenciés. Cela permet aussi de comparer les pays entre eux !

La Chine, qui émet environ 31 % du CO2e mondial, est de loin le plus grand émetteur de la planète. Il est néanmoins important de remettre ce chiffre en perspective : la Chine est le deuxième pays le plus peuplé du monde, et une grande partie de ses émissions sont dues aux exportations, c’est-à-dire à d’autres pays qui consomment des produits chinois, les fameux “made in China”.

L’empreinte carbone apparaît alors comme un indicateur intéressant, puisqu’il s’agit des émissions par pays en prenant en compte les importations et exportations. En 2019, l’empreinte carbone de la Chine est alors de 8 tonnes de CO2e par habitant, contre 10 en Europe, 21 aux Etats-Unis, mais aussi 1 tonne en Éthiopie ou à Haïti. La moyenne mondiale est de 6,6 tonnes environ. Pour un monde à +1,5°C on devrait être à 1 tonne en 2050 en moyenne, et 3 tonnes pour un monde à +2°C [1]. Suite aux accords de Paris de 2015, et aux rapports du GIEC, l’objectif retenu est de 2 tonnes par habitant d’ici 2050. On est donc très loin du compte, y compris en France où on émet 5 fois trop par personne et par an.

Voici les empreintes carbones moyennes par région du monde et par habitant :

Comment expliquer de telles différences d’émissions entre régions du monde ? Il y a une relation directe entre empreinte carbone et niveau de richesse des pays, mesurée par le PIB. Par exemple, le Qatar est le pays au PIB par tête le plus important du monde, et c’est aussi le pays qui émet le plus par habitant. Cependant, il faut aussi aller voir ce qui se passe au sein des pays, puisque les inégalités entre habitants d’un même pays s’accroissent, alors que les inégalités entre pays diminuent [2].

Les individus les plus riches émettent le plus de gaz à effet de serre

Dans chaque pays, ce sont les individus au niveau de vie le plus élevé qui polluent le plus. En France, l'empreinte carbone des 10 % des ménages les plus riches est trois fois plus élevée que celle des 10% des ménages les plus pauvres [3]. Au niveau mondial, la différence est encore plus impressionnante. Le 1 % des individus qui émet le plus (des habitants des Etats-Unis, Luxembourg, Singapour, Arabie Saoudite notamment) émet 2000 fois plus que le 1 % qui émet le moins (des habitants du Honduras, Mozambique, Rwanda, etc) [4].

Cette différence s’explique par le fait que les plus riches consomment plus, ce qui se traduit par des activités coûteuses en émissions carbones. Ils voyagent plus, vivent dans des logements énergivores (plus grands, avec des piscines, la clim, etc). Ainsi, 10 % des individus les plus riches émettent 48 % des émissions de CO2e dans le monde, alors que les 50 % les plus pauvres en émettent 12 % [1]. Cela s’explique aussi en partie par les dépenses publiques de chaque pays. Ainsi, les Etats-uniens les plus pauvres émettent bien plus que la plupart des habitants d’Afrique [1]. Néanmoins, les inégalités entre pays diminuent. De ce fait, on trouve des individus qui émettent beaucoup dans presque tous les pays du monde.


Taxer les individus les plus riches au niveau mondial pour qu’ils contribuent à des fonds comme le fonds d’adaptation au changement climatique est ainsi une voie prônée par Thomas Piketty et Lucas Chancel, deux économistes français. Ils préconisent une “taxe carbone mondiale” qui consisterait en une taxe sur les personnes émettant plus qu’un certain seuil de CO2e, à l’inverse des taxes qui existent aujourd’hui plutôt au niveau des pays fortement émetteurs [3].

Cette mesure étant difficile à mettre en place, ils étudient aussi la possibilité de taxer les billets d’avion (taxe qui existe dans certains pays), avec une plus forte taxe sur les billets de première classe. Néanmoins, cela viserait moins bien les personnes les plus émettrices [3]. En d’autres termes, cette approche considère qu’il est plus juste de taxer les consommateurs individuels fortement émetteurs que les pays qui émettent beaucoup en produisant, et exportent parfois une bonne partie pour des consommateurs étrangers.

Pour conclure, la question des inégalités en matière d’émissions carbone fait couler beaucoup d’encre dans le monde de la recherche mais aussi politique, et suscite de nombreuses questions sur la manière de les mesurer. Quelques enjeux ont été présentés ici, mais il en existe d’autres : les derniers rapports préconisent aussi de prendre en compte la responsabilité historique de chaque pays par exemple. La façon de mesurer la responsabilité de chacun, de chaque entreprise et de chaque pays devrait ensuite influer sur la façon dont sont pensés les accords au niveau mondial.

L’ordre de grandeur à retenir, c’est que les 10 % les plus riches émettent environ 50% du CO2e dans le monde, et les 50 % les plus pauvres en émettent 10% environ.

Charlotte, agrégée de sciences économiques et sociales, et doctorante en sociologie

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Glossaire :

empreinte carbone, définition de l’INSEE : L'empreinte carbone représente la quantité de gaz à effet de serre (GES) induite par la demande finale intérieure d'un pays (consommation des ménages, des administrations publiques et des organismes à but non lucratif et les investissements), que les biens ou services consommés soient produits sur le territoire national ou importés.

CO2 équivalent, définition inspirée du GIEC : L'émission en équivalent CO2 est la quantité émise de dioxyde de carbone (CO2) qui provoquerait les mêmes conséquences qu’une quantité émise d’un seul ou de plusieurs gaz à effet de serre (GES).

PIB (produit intérieur brut), définition de l’INSEE : Le produit intérieur brut aux prix du marché vise à mesurer la richesse créée par tous les agents, privés et publics, sur un territoire national pendant une période donnée.

Fonds d’adaptation au changement climatique (FACC) : fonds mis en place en 1995 pour financer des projets d’adaptation au changement climatique dans les pays en développement.

accords de Paris de 2015 : traité international sur le réchauffement climatique

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Sources :


[1] : Chancel, L., Piketty, T., Saez, E., & Zucman, G. (Eds.). (2022). World inequality report 2022. Harvard University Press.

[2] : Bourguignon, F. (2013). La mondialisation de l'inégalité. Média Diffusion.

[3] : Guivarch, C., & Taconet, N. (2020). Inégalités mondiales et changement climatique. Revue de l'OFCE, 165(1), 35-70.

[4] : Chancel, L., & Piketty, T. (2015). Carbon and inequality: From Kyoto to Paris Trends in the global inequality of carbon emissions (1998-2013) & prospects for an equitable adaptation fund World Inequality Lab.