L'ARN : La brique manquante ?

SANTÉBIODIVERSITÉ

Elliot Lopez

3/23/202410 min read

seven chicken eggs
seven chicken eggs

Diverses disciplines scientifiques unissent leurs forces pour percer le mystère des origines de la vie sur Terre. Quand les archéologues fouillent la terre à la recherche de vestiges laissés par des civilisations disparues, les anthropologues essaient de comprendre comment l’espèce humaine a évolué pour devenir ce qu’elle est aujourd’hui, et les biologistes plongent au cœur de nos cellules pour étudier le fonctionnement du vivant. Malgré ces efforts, la manière dont la vie est apparue sur Terre reste un mystère à élucider (voir notre vidéo à ce sujet). L’ARN, moins célèbre que l’ADN mais tout aussi utile, se révèle être une piste prometteuse pour compléter le puzzle.

Cet ARN, dont vous avez sûrement déjà entendu parler pour les vaccins à ARN utilisés pour lutter contre la COVID19, est vital au fonctionnement des cellules et des organismes, et je vous propose de le découvrir dans cet article, qui fait suite à l’article sur l’ADN (accessible ici).

Le problème de l'œuf et de la poule : Comment la vie est apparue ?

La découverte de la structure de l’ADN en 1953 par Watson, Crick, Franklin et Wilkins a été récompensée d’un prix Nobel en 1958, et a entraîné de nombreuses révolutions dans notre manière d’expliquer la vie et l’évolution. On a vite compris que l’ADN permet de stocker les informations nécessaires à notre développement, et qu’il se transmet de génération en génération. Pour cela, nos cellules sont capables de former de nouvelles cellules auxquelles elles transmettent toutes leurs caractéristiques, comme par exemple les cellules à l’origine des ovules et spermatozoïdes.

Cependant, pour que cette transmission ait lieu, la cellule a besoin de l’ADN, la grosse bibliothèque dans laquelle toutes les informations sont stockées, et de protéines*, les ouvrières qui travaillent sans relâche. Ces deux molécules sont tellement complexes qu’il est a priori impossible qu’elles soient apparues en même temps sur Terre. Quand les premières formes de vie se sont développées, elles avaient donc besoin de ces deux molécules, mais l'une des deux est apparue avant l'autre. Et dans ce cas là, on a aucune idée de comment les premières cellules pouvaient fonctionner. L'ADN sans protéine est une liste d'instructions sans personne pour la lire ni la recopier, et les protéines sans ADN n'ont aucune idée de ce qu'elles doivent faire et ne peuvent pas se multiplier. En effet, les protéines ne stockent pas d'informations et n'ont donc rien à transmettre aux générations de protéines suivantes. Or, le propre du vivant, c'est d'être capable de se multiplier et de se reproduire pour survivre. On part donc à la recherche d'une molécule biologique qui serait capable de stocker de l'information, un peu comme l'ADN, et qui serait aussi capable de faire des actions simples, comme les protéines [1].

Aujourd’hui, les scientifiques pensent qu’une troisième molécule permet de résoudre ce paradoxe. Et c'est là que l'ARN entre en jeu [2]. Cette molécule ressemble beaucoup à l’ADN, et peut donc globalement faire la même chose. Mais elle est beaucoup plus petite, et surtout elle peut se déformer, ce qui peut lui permettre de bouger et de faire des actions, un peu comme une protéine. En particulier, les chercheurs pensent que certains ARN, probablement arrivés de l'espace, ont fini par développer la capacité de se recopier eux-mêmes. Ils stockent de l'information qu'ils peuvent lire eux-mêmes pour reproduire un certain nombre d'actions différentes, on a la base de la vie ! Maintenant que ces ARN peuvent survivre dans le temps en se multipliant, il ne reste plus qu'à attendre un temps infiniment long que certaines mutations* apparaissent pour permettre à ces ARN d'intégrer peu à peu de plus en plus d'informations et de compétences : comment créer des protéines pour qu'elles travaillent à leur place, comment stocker l'information dans de l'ADN, plus stable dans le temps, comment se protéger en se cachant dans une cellule,...

Puisque toutes ces mutations étaient utiles pour les ARN, elles ont été conservées dans le temps, ça veut dire que les ARN qui ont subi ces mutations avaient plus de chances de survie que les autres (puisqu'ils survivaient mieux et se recopiaient plus facilement), et donc leur patrimoine génétique*, c'est-à-dire l'information qu'ils stockent, a été conservé. C'est le principe de l'évolution grâce à la sélection naturelle*.

La molécule ARN et ses différences avec l’ADN

L’ARN a été découvert en même temps que l’ADN, mais il ne sera étudié que plus tard, et on continue encore aujourd’hui de lui découvrir de nouvelles utilités. Cette molécule possède une structure très comparable à l’ADN, à quelques différences près :

  • L’ADN contient quatre lettres qui permettent d’écrire nos gènes : A, T, C et G. L’ARN utilise presque les mêmes, mais le T a été remplacé par un U, plus rapide à fabriquer dans la cellule, ce qui permet à l’ARN d’être produit en très grande quantité.

  • L’ADN possède une structure en double hélice, où deux brins s’enroulent l’un autour de l’autre. La plupart du temps, l’ARN n’a qu’un seul brin, qui est déroulé et peut flotter à l’intérieur de la cellule ou changer de forme selon son utilité. Par contre, cette structure en simple hélice rend l’ARN moins solide et donc moins stable que l’ADN.

  • L’ADN est gigantesque, près de 3 milliards de lettres sur chaque brin à l’intérieur de nos cellules. L’ARN, lui, s’arrête à quelques centaines ou milliers de lettres, et résume seulement certaines parties utiles de l’ADN. Il est donc environ un million de fois plus petit, ce qui lui permet de sortir du noyau facilement.

Si on récapitule, l’ARN est moins stable que l’ADN, mais il est plus petit, plus mobile, et est produit plus facilement. Et grâce à cela, il possède énormément de fonctions dans nos cellules.

La formation de l’ARN à partir d’ADN

Pour former de l’ARN à partir de l’ADN, la cellule possède plusieurs protéines spécialisées qui lui permettent d’effectuer ce mécanisme complexe, la transcription*. Ces différentes protéines travaillent en coopération et c’est leur action combinée qui permet de créer de l’ARN à partir d’ADN. La protéine la plus importante s’appelle l’ARN polymérase*. Son rôle est de lire l’ADN lettre par lettre, et de fabriquer la lettre complémentaire pour l’ARN. Pour rappel, les lettres sont complémentaires deux à deux, c’est-à-dire que le A s’accroche toujours avec un T, et le C toujours avec un G. L’ARN polymérase choisit donc la lettre complémentaire de celle qu’il lit, à la différence que puisqu’il crée de l’ARN, il remplace toutes les lettres T par des U, plus facile à fabriquer, pour gagner du temps !

Cette protéine est épaulée par une équipe de choc : Tout d’abord, certaines protéines viennent lui montrer le chemin pour qu’elle sache quelle partie de l’ADN recopier, sinon elle y passerait un temps fou. D’autres protéines lui permettent de rester accrochée à l’ADN pendant qu’elle fait son travail, pour éviter de partir à la dérive. Enfin, certaines protéines sont chargées de lui amener les matériaux dont elle a besoin pour construire la chaîne d’ARN efficacement [3].

Grâce à tout cela, une cellule humaine est capable de construire des molécules d’ARN au rythme d’environ 1000 à 6000 lettres par minute [4]. Pour fabriquer des ARN, qui font au maximum quelques milliers de lettres, cela prendrait quelques minutes. Mais si jamais elle se mettait en tête de recopier l'entièreté de l’ADN, un million de fois plus long, cela lui prendrait près de 2 ans !

Une véritable machine à tout faire

Le rôle le plus connu de l’ARN, celui que l’on a découvert en premier, c’est le rôle de messager [5]. l’ARN messager, ou ARNm, est produit dans le noyau, et vient recopier une petite séquence d’ADN utile avant de sortir du noyau, où il sera lu pour produire des protéines. Plus généralement, l’ARN messager est celui qui sera lu pour produire des protéines, et qui est par exemple utilisé par certains virus et bactéries pour se reproduire à l’intérieur de nos cellules. Puisqu’il est peu stable, il est très rapidement éliminé après avoir été lu dans la cellule, sa durée de vie dans la cellule est limitée et la cellule produit sans cesse de nouveaux ARN messagers.


L'ARN messager recopie une partie utile de l'ADN dans le noyau. Par exemple, pour les cellules des yeux, il ne récupère que la partie de l'ADN qui correspond à la couleur des yeux, ou à leur forme. Pour la peau au contraire, il a besoin de récupérer l'information qui décrit la couleur de la peau, mais aussi les poils, les grains de beauté... Puis, il sort du noyau de la cellule où il est lu par un groupe de protéines, qui vont alors construire une nouvelle protéine basée sur la séquence d'ARN messager. Une fois sa tâche de messager accomplie, l'ARN messager va rapidement être détruit dans la cellule car il n'est pas très stable dans le temps. Un peu comme un message dans Mission Impossible... Source : Instructables.com.

L’ARN peut aussi servir de catalyseur*, c’est-à-dire d’accélérateur de réaction. Concrètement, grâce à sa faculté de déformation, l’ARN peut permettre d'accélérer certains processus à l’intérieur de la cellule, en aidant les protéines à entrer en contact par exemple, ou bien en tirant sur des morceaux de protéines jusqu’à les séparer. On trouve aussi des ARN interférents, qui viennent s’accrocher à d’autres ARN pour les empêcher de fonctionner. Ces ARN interférents permettent de réguler l’action des autres ARN dans le temps, pour l’adapter à notre rythme de vie (produire moins de protéines lorsqu’on en a moins besoin par exemple). Et ce n’est pas fini, on continue encore aujourd’hui à trouver des nouvelles formes de l’ARN qui ont potentiellement d’autres rôles, comme celui de guide par exemple !

Un potentiel médical à exploiter

Finalement, l’ARN est une petite molécule qui a plus d’un tour dans son sac. Depuis la découverte de l’ARN messager en 1961 par des chercheurs de l’Institut Pasteur [6], la biologie s’est rapidement intéressée à cette molécule pour ses potentielles applications thérapeutiques. Le développement de vaccins à ARN, maturé depuis des dizaines d’années et subitement poussé sur le devant de la scène pendant la dernière pandémie mondiale, montre que cette petite molécule a encore de grands jours devant elle, mais ça, ce sera l’histoire d’un prochain article !


Les ordres de grandeur à retenir, c’est que :

  • Une cellule est capable de recopier environ 1000 à 6000 bases par minute pour fabriquer l’ARN.

  • L’ARN est environ un million de fois plus petit que l’ADN.

Elliot, doctorant en interface chimie-biologie

Glossaire :

Protéine : Molécule présente dans tous les êtres vivants. Formée d'acides aminés enchaînés sous forme de polymère, elle possède une fonction bien précise au sein de la cellule.

Mutation : Modification anormale d'une partie de l'ADN à cause d'une action extérieure ou d'une erreur de recopiage.

Patrimoine génétique : Ensemble des informations contenues dans l'ADN d'un être vivant, c'est-à-dire tous ses gènes, qu'il peut transmettre au générations futures.

Sélection naturelle : Transmission de certaines versions de gènes aux générations futures qui avantagent les individus les possédant, par exemple en facilitant leur reproduction ou leur manière de se nourrir. Ces versions de gènes avantageuses ont donc statistiquement plus de chances d'être transmises à des individus qui survivront, et donc de continuer à exister dans les générations futures.

Transcription : Étape de création d'un brin d'ARN à partir de la lecture de l'ADN par des protéines dans le noyau.

ARN polymérase : Protéine présente dans nos cellules qui est chargée de produire nos différents ARN à partir de l’ADN contenu dans le noyau.

Catalyseur : Composé qui permet d’accélérer une réaction chimique ou biologique sans pour autant faire partie de la réaction en elle-même. On récupère donc le composé intact à la fin de la réaction.

Sources :

[1] Soni, R. Origine moléculaire de la vie : qu'est ce qui s'est formé en premier ? Protéine, ADN ou ARN ou une combinaison de ceux-ci ? Scientificeuropean.fr (2020).

[2] Szilágyi, A.; Zachar, I.; Scheuring, I.; Kun, Á.; Könnyű, B.; Czárán, T. Ecology and Evolution in the RNA World Dynamics and Stability of Prebiotic Replicator Systems. Life (2017), 7, 48. https://doi.org/10.3390/life7040048

[3] Radom, J. Cours de génétique moléculaire. Université de Franche-Comté.

[4] Jonkers, I., Lis, J. Getting up to speed with transcription elongation by RNA polymerase II. Nat. Rev. Mol. Cell. Biol. (2015) 16, 167–177. https://doi.org/10.1038/nrm3953 

[5] Brenner, S., Jacob, F. & Meselson, M. An Unstable Intermediate Carrying Information from Genes to Ribosomes for Protein Synthesis. Nature (1961) 190, 576–581. https://doi.org/10.1038/190576a0.

[6] Jacob, F. & Monod, J. Genetic regulatory mechanisms in the synthesis of proteins. J. Mol Biol. (1961) 318-56. doi: 10.1016/s0022-2836(61)80072-7.

Un peu comme l’œuf et la poule, pour qui on se demande encore qui est apparu en premier, les protéines et l'ADN sont deux molécules indispensables à la vie et pouvant très difficilement exister seules. Mais elles sont tellement complexes que c'est impossible que les deux soient apparues en même temps par hasard au même endroit, donc il y avait forcément un premier. A moins qu'une troisième molécule comme l'ARN, qui combine les capacités de l'ADN et des protéines, soit apparue d'abord et ai créé les deux autres ! Source : The China Fowl. Geo P. Burnham, 1874, BHL Library.

Elliot Lopez

Doctorant en chimie-biologie