Quand la Nature joue aux Lego: l'ADN

SANTÉBIODIVERSITÉ

Elliot Lopez

2/25/202411 min read

a close up of a structure with a blue background
a close up of a structure with a blue background

Tout le monde en a déjà entendu parler, mais est-ce qu’on connaît vraiment les secrets de l’ADN, cette molécule si importante à la vie, et présente chez tous les êtres vivants, plantes et animaux ? Qu’est-ce que cette molécule a de si spécial, quand est-ce qu’on l’a découverte, et qu’est-ce que cela a changé à notre compréhension de notre espèce et de notre corps ?

Une découverte décisive et controversée

La molécule d’ADN a été découverte au XIXème siècle par un jeune scientifique suisse du nom de Friedrich Miescher [1]. En étudiant l’intérieur de certaines cellules sur lesquelles il travaillait, il remarqua la présence d’une molécule aux propriétés étonnantes qui ne ressemblaient pas aux autres protéines*. En essayant de récupérer seulement les noyaux des cellules, il réussit en 1869 à isoler une substance qu’il appela “nucléine”. Ses travaux ont depuis été reconnus comme fondateurs pour le domaine, et cette substance a ensuite été renommée ADN, pour Acide DésoxyriboNucléique”. D’autres scientifiques permirent de mieux comprendre la composition de cette molécule en identifiant des parties différentes qui se répétaient. Puis, des chercheurs montrèrent que cette molécule était responsable de l'hérédité*, et qu’elle était présente dans une zone bien précise des cellules, le noyau, où elle était protégée.

Ces progrès ont conduit à une percée majeure en 1953, date qu'on considère aujourd'hui comme étant celle de la découverte de l'ADN, lorsque Francis Crick et James Watson, révélèrent la structure en double hélice de l'ADN dans un article mémorable paru dans le prestigieux journal Nature [2]. Dans cet article, ils décrivent la géométrie de la molécule d’ADN et mentionnent officiellement la forme en double hélice. Cette découverte a cependant fait couler beaucoup d’encre, puisque ce duo a été accusé d’avoir d’utilisé les travaux réalisés par Rosalind Franklin et son étudiant, Raymond Gosling [3]. La réalité est probablement plus nuancée. Pendant que Crick et Watson travaillaient sur la théorie de cette molécule miracle, les chimistes Franklin et Gosling étudiaient cette molécule et sa conformation dans l’espace en utilisant une technique appelée diffraction des rayons X*, qui consiste à bombarder une structure de rayons X et à étudier leurs rebonds pour déduire des informations sur la forme de la structure étudiée. En 1951, ils prirent une photographie de la molécule depuis devenue célèbre.

On suspecte Watson et Crick d’avoir eu accès à plusieurs reprises à des informations sur les travaux de Franklin, grâce à des discussions informelles avec des collaborateurs de Cambridge ou de l’extérieur, ainsi que par Gosling, lorsqu’il commença à travailler avec Watson [4]. Cependant, bien qu’ils ne le mentionnent qu’à demi-mot dans leur article originel de 1953, ils l’évoquent ensuite clairement dans les articles suivants. Par ailleurs, ils sont les premiers à aboutir à la conclusion d’une structure en double hélice pour l’ADN, ce que Franklin avait probablement rejeté jusque-là, en utilisant les mêmes données. Aujourd’hui, on considère donc plutôt que Franklin est une contributrice de cette découverte, à niveau égal avec Watson, Crick, et Wilkins, qui dirigeaient les recherches dans le même laboratoire. Le principal tort de Watson et Crick serait plutôt d’avoir utilisé des données produites par Franklin pour valider leur théorie sans l’en informer, et sans lui demander son accord. Par ailleurs, ils sont restés évasifs dans leurs remerciements à la suite de la réception de leur Prix Nobel en 1962 avec Wilkins. L’attribution de cette récompense continua d’alimenter cette histoire polémique en ne récompensant que Watson, Crick et Wilkins, puisqu’il ne s’adresse qu’aux scientifiques encore en vie et que Franklin est décédée d’un cancer ovarien en 1958.

Une structure chimique en double hélice

L'ADN. A l'intérieur de cette molécule complexe, plusieurs composants peuvent être identifiés : le squelette extérieur de la molécule, qui la protège, est constitué de sucres appelés “désoxyribose”, et de groupes phosphate, un minéral essentiel à la vie qui transporte les charges électriques à l’intérieur du corps humain. L’intérieur de la molécule, lui, contient des “bases azotées”. Ce sont elles les plus importantes, puisque leur enchaînement en séquence permet de stocker l'information génétique, un peu comme les successions de 0 et de 1 dans les ordinateurs. Au nombre de quatre, elles s’appellent respectivement “adénine”, “cytosine”, “guanine” et “thymine”, ou A, C, G, et T en notation abrégée. Elles fonctionnent par paires, c'est-à-dire que l'adénine (en orange) s'accroche toujours avec une thymine (en vert). De son côté, une cytosine (en bleu) sera toujours avec une guanine (en jaune). Ces associations forment les barreaux de la double hélice, qui peuvent se faire et se défaire de manière réversible, comme des Lego. Lorsque l’ADN est en forme double hélice, il est protégé afin d’éviter que la séquence des bases azotées ne soit abîmée par une attaque extérieure (virus, soleil…), mais l’ADN peut facilement se séparer en deux chaînes pour permettre la lecture de la séquence.


L’ADN est la plus grosse molécule connue du corps humain, composée d’un enchaînement de bases azotées. Ces bases azotées forment les barreaux de la double hélice, et sont protégées par un squelette extérieur de sucre, liés par des phosphate. Avec quatre bases azotées seulement, on peut constituer l'ADN de tous les êtres vivants. D’après la référence [5].

L’ADN comme brique élémentaire pour écrire les gènes

L’ADN est présent à l’intérieur de toutes nos cellules, et plus précisément dans leur noyau. Ici, la molécule est protégée, et n’en sortira jamais. Pourtant, il faut bien que la cellule puisse utiliser son ADN. L’ADN fonctionne comme une gigantesque bibliothèque, qui rassemble toutes les connaissances et les spécialités que doivent acquérir les cellules de notre corps. Au total, si on déplie totalement la molécule d’ADN, on estime qu’elle ferait près de 2 mètres pour une seule cellule, et si on rassemble tout l’ADN de toutes les cellules de notre corps, on arrive à près de 70 milliards de kilomètres, soit environ 450 fois la distance Terre-Soleil. Mais chaque cellule n’a besoin que de quelques livres dans cette bibliothèque. Les centaines de sortes de cellules différentes dans notre corps ont toutes les même ADN, mais elles n'en utilisent chacune qu'une partie. Les cellules envoient donc des protéines, les ouvriers de notre corps, lire l’ADN à leur place. Et mieux que ça, ces ouvriers réécrivent une partie de la bibliothèque en ARN, une version allégée et concentrée de l’ADN, qui ne contient que les informations utiles à la cellule en question. Cet ARN, lui, est capable de sortir du noyau, amener l’information dans le cytoplasme* de la cellule, c’est-à-dire, à l’extérieur du noyau. Ici, la cellule pourra enfin lire la séquence d’ARN qu’elle utilisera comme un manuel pour construire… des protéines. Des protéines en tout genre qui vont pouvoir aider au déplacement des cellules, à leur production de ressources ou de substances, à leur consommation d’énergie, bref, à tous les phénomènes qui dictent la vie d’une cellule,

L’enchaînement d'événements qui conduit de l’ADN à l’ARN à l’intérieur du noyau, ça s’appelle la transcription*. En réalité, ce phénomène très complexe implique un nombre de protéines énormes : certaines sont chargées de séparer les deux hélices de l’ADN, les deux “brins”, afin de permettre à d’autres de lire la séquence de base azotée. D’autres protéines vont alors recopier cette séquence pour former un brin d’ARN. Et en fait, la totalité de l’ADN n’est pas utile. Ou plutôt, on ne sait pas exactement à quoi sert la totalité de l’ADN. On a remarqué que la longue séquence d’ADN présente dans notre corps pouvait être schématisée comme une suite de séquences utiles, qu’on appelle les gènes, et de séquences intermédiaires. Les gènes permettent aux cellules de faire tout ce qui leur sera utile, et notamment la plupart de nos caractéristiques physiques. Par exemple, le gène qui détermine la couleur de votre peau, de vos yeux, ou même la tonalité de votre voix. Au total, on estime que la molécule d’ADN humaine contient environ 20000 gènes utiles. Pour chaque gène, il y a une multitude de variantes, qui sont apparues au cours du temps et qui coexistent maintenant. C’est pour cela qu’il existe une variabilité entre les humains, par exemple les différentes couleurs de cheveux, le fait de digérer ou non le lait, ou encore les groupes sanguins. Mais cette variabilité ne représente que 0.1% du total de nos gènes, le reste étant totalement identiques à tous les humains, ce qui nous permet d'avoir deux bras, un visage, de pouvoir parler...

Les protéines vont recopier les parties de l’ADN utiles pour la cellule, les transcrire en ARN, qui va sortir de la cellule, puis être lu par d’autres protéines qui vont l’utiliser pour construire d’autres protéines. Cette étape s'appelle la traduction*. Ainsi, la cellule assure son cycle de vie, remplace les protéines abîmées, ou produit davantage de substances, comme la mélanine dans les cellules de peau par exemple.

La photographie 51 est le cliché réalisé par Raymond Gosling en 1951 en utilisant la technique de diffraction des rayons X. Elle montre un schéma en croix caractéristique que les scientifiques savent reconnaître et qui permet de remonter à une structure en double hélice. On estime qu’elle est à l’origine de la découverte de l’ADN tel qu’on le connaît maintenant.

Les ordres de grandeur à retenir, c’est que :

  • Seulement 4 molécules différentes sont utilisées pour écrire l’ADN de tous les êtres vivants.

  • Si on le déplie, l’ADN contenu dans une cellule humaine mesure environ 2 mètres, et tout l'ADN de notre corps est aussi long que 450 trajet Terre-Soleil.

  • L’ADN contenu dans nos cellules code environ 20000 gènes, dont seulement 0.1% varient d'une personne à l'autre.

  • Une mutation arrive avec une probabilité de 1 sur 10000 à chaque recopiage de l'ADN dans nos cellules.

Elliot, doctorant en interface chimie-biologie

Glossaire :

Protéine : Molécule présente dans tous les êtres vivants. Formée d'acides aminées enchaînés sous forme de polymère, elle possède une fonction bien précise au sein de la cellule.

Hérédité : Au sein d'une espèce, transmission de caractéristiques d'une génération à l'autre. Elle peut concerner des traits physiques par exemple, et est associée aux gènes présents dans notre ADN, dans nos cellules.

Diffraction des rayons X : Technique de cristallographie qui permet d'obtenir des informations sur une espèce chimique en la bombardant de rayons X, et en observant le motif obtenu sur un écran à cause de leur reflexion. En fonction des atomes contenus dans l'espèce chimique, le motif obtenu sera différent et on pourra remonter à la structure chimique de la molécule.

Cytoplasme : Liquide présent dans la cellule à l'extérieur du noyau, dans lequel baigne le noyau, mais aussi une multitude d'autres composants et protéines présents dans la cellule.

Transcription : Etape de création d'un brin d'ARN à partir de la lecture de l'ADN par des protéines dans le noyau.

Traduction : Etape de création de protéines à partir de l'ARN qui est sorti du noyau de la cellule.

Sources :

[1]  Dahm, R. Friedrich Miescher and the discovery of DNA. Developmental Biol. 278(2) 274-288 (2005) https://doi.org/10.1016/j.ydbio.2004.11.028.

[2] Watson, J. & Crick, F. Molecular Structure of Nucleic Acids: A Structure for Deoxyribose Nucleic Acid. Nature 171, 737–738 (1953). https://doi.org/10.1038/171737a0

[3] Franklin, R. & Gosling, R. Evidence for 2-Chain Helix in Crystalline Structure of Sodium Deoxyribonucleate. Nature 172, 156–157 (1953). https://doi-org.proxy.insermbiblio.inist.fr/10.1038/172156a0

[4] Cobb, M. & Comfort, N. What Watson and Crick really took from Franklin. Nature 616, 657-660 (2023). doi: 10.1038/d41586-023-01313-5.

[5] Douat, C. Etude d’un micro-jet de plasma à pression atmosphérique. Thèse de doctorat scientifique (2014) https://www.theses.fr/2014PA112028

Dans une cellule (en bleu clair), l'ADN est stocké dans le noyau (en bleu foncé) qui protège cette molécule des agressions extérieures. Pour pouvoir y accéder, la cellule transforme d'abord l'ADN en ARN dans le noyau, c'est la transcription. L'ARN est plus petit car il ne contient que les informations utiles, et n'est composé que d'un seul brin. Puis, cet ARN sort du noyau, là où il va à son tour être transformé. Les protéines de la cellule vont le lire comme un mode d'emploi pour construire plein de nouvelles protéines aux fonctions variées. Cette étape s'appelle la traduction. Lors de chacune de ces deux étapes, si une erreur de lecture ou de recopiage arrive, des mécanismes d'élimination des erreurs existent, qui permettent à la cellule d'éviter les problèmes.

Qu’est-ce que c’est qu’une mutation ?

Pendant le processus de recopiage de l’ADN, aucune erreur de recopiage ne doit être commise, sous peine de modifier grandement la signification de ce que les protéines recopient. Grâce à l’expertise des protéines qui s’en occupent, ce taux d’erreur n’est que d’environ 1 fois tous les 10000 recopiages. Cela peut sembler peu mais en réalité, c’est énorme. Chaque seconde, une multitude de cellules de notre corps s’occupe de recopier leur ADN. Alors le corps a déployé des mécanismes d’élimination des erreurs. Une erreur dans le recopiage, c’est ce qu’on appelle une mutation génétique. La plupart du temps, le corps l’élimine, sans même que l’on soit au courant. Mais parfois, l’erreur va rester. Dans ce cas là, l’ARN qui sort du noyau sera imparfait, et pourra être éliminé. Si lui aussi passe inaperçu, il sera utilisé pour construire des protéines, mais fournira un mode d’emploi incomplet, et les protéines seront probablement incapables d’assurer leur fonction et seront finalement éliminées. Grâce à tous ces mécanismes de défense, le nombre d’erreurs non traitées par le corps descend à environ 1 fois tous les cent milliards de recopiages.

De temps en temps, la protéine produite de manière incorrecte va être tout de même capable d’effectuer sa fonction, mais d’une manière différente. Soit elle le fera moins bien, c’est par exemple le cas d’une mutation qui affecte la forme des globules rouges qui transporte l’oxygène dans votre sang : cette mutation cause une maladie bien connue, la drépanocytose, dans laquelle les malades ont des problèmes d’approvisionnement en oxygène de leur sang. Dans d’autres cas moins dramatiques, la protéine n’a pas une fonction essentielle, et fait donc apparaître une petite variation, par exemple un changement de couleurs des yeux. La personne portant cette “erreur de recopiage”, cette mutation, peut ensuite la transmettre à ses enfants, et ainsi une nouvelle couleur des yeux est apparue !