Quelques ODG du rapport du HCC

CLIMATÉNERGIEENVIRONNEMENT

Lorentz Dutrievoz

10/31/202313 min read

Regroupant des experts scientifiques en lien avec le climat, le Haut conseil pour le climat (HCC) a pour but d'évaluer annuellement les trajectoires de baisses des émissions de gaz à effet de serre de la France. Le rapport annuel du HCC est sorti ce mois de juin 2023 (une version grand public est disponible ici). Destiné aux politiques du gouvernement français, il évalue l'action publique en matière de climat, et sa cohérence avec les engagements internationaux de la France, en particulier le respect des budgets carbone, et l'atteinte de la neutralité carbone en 2050. Nous avons décidé de mettre en avant quelques ordres de grandeur qui paraissent dans ce rapport.

Nous listerons d’abord les émissions des secteurs les plus émetteurs, puis nous discuterons des conséquences du dérèglement climatique sur la France, avant de s'intéresser à la trajectoire actuelle au vu des politiques mises en place.

Les tableaux ci-dessous présentent les données pour la France. Les graphes se basent sur les données du rapport. Une explication des unités présentes dans l'article (TWh, Mt, Ha) se trouve en fin d'article.

Les émissions territoriales françaises par secteur

Les objectifs de l'Accord de Paris sur le climat de 2015, signés par 193 pays, visent à limiter le réchauffement (planétaire) “bien en-dessous de 2.0° C”. Pour ce faire, tous les pays doivent réduire drastiquement leurs émissions de CO2e. Il est donc nécessaire de connaitre la répartition des émissions au sein d'une économie. Le tableau ci-dessous montre la répartition des émissions par secteur pour la France en 2022.

Le secteur le plus émetteur est celui des transports

Le graphique ci-dessous montre que le véhicule particulier est le grand responsable des émissions du secteur.

*Les transports aériens et maritimes internationaux ne sont pas pris en compte dans le graphique.

L'agriculture est le deuxième secteur le plus émetteur

L'élevage (principalement bovin) est responsable de plus de la moitié des émissions du secteur.

Les émissions du secteur bovin représentent 83% des émissions de l’élevage en 2021

Des émissions importantes et un puits de carbone qui s'affaiblit

Grâce à un processus naturel d'absorption du CO2, les forêts, et la végétation herbacée peuvent stocker du carbone sous forme organique dans les écosystèmes forestiers et dans les sols. Les puits de carbone désignent donc les écosystèmes qui absorbent et stockent le carbone de l’atmosphère.

Les puits de carbone français, principalement constitués des forêts, stockent de moins en moins de carbone (-21% entre 2020 et 2021). Cette réduction est attribuable à

  • l'augmentation de la mortalité* en forêt due aux périodes récurrentes d'épisodes de sécheresse, ainsi qu'à des conditions climatiques difficiles et propices aux insectes xylophages (qui rongent le bois).

  • la diminution de la croissance des arbres (pour les mêmes raisons que l'augmentation de la mortalité)

  • l’augmentation des prélèvements de bois (notamment due aux coupes sanitaires d'épicéas victimes des sécheresses ou d'insectes ravageurs). [1]

*la mortalité des arbres représente la quantité (en volume) d'arbres morts sur un hectare. En France celle-ci a fortement augmenté (+54% sur cette dernière décennie).

Ainsi, le secteur UTCATF (utilisation des terres, du changement d’affectation des terres et de la foresterie) stocke 17.1 Mt CO2e. Pour bien se rendre compte, cela signifie que le secteur des transports émet presque 10x ce que les forêts françaises sont capables de stocker.

Les conséquences d'un réchauffement

La hausse des émissions entraine un réchauffement global qui perturbe les sphères biologiques, sociales, et économiques.

Le réchauffement est cause de canicules toujours plus violentes et fréquentes

Notre corps transpire pour évacuer la chaleur grâce aux fines gouttelettes d'eau qui s'évaporent. Cependant, lorsque la température et le taux d'humidité sont trop élevés notre corps n'est plus en mesure de transpirer. Dès lors, il emmagasine toute la chaleur, ce qui devient extrêmement dangereux (vidéo ODG sur ce sujet). Ces conditions ne sont plus rares et adviennent maintenant chaque année.

*6 969 morts

Pour comparer, c'est 2x plus que le nombre de décès liés aux accidents de la route en 2022 qui s'élèvent à 3 267 morts [2].

L'année 2022 était particulièrement chaude (avec de nouveaux records de température battus). Cependant, avec les trajectoires actuelles d'émissions et de hausse des températures, il est certain que ces périodes caniculaires se reproduiront plus intensément et plus longtemps. Le rapport du GIEC (groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) a mis en avant le nombre de jours par an où les conditions combinées de température et d'humidité présentent un risque de mortalité pour les individus. [3]

Selon le GIEC, si l’on continue sans rien changer et que nous suivons le scénario “Business as usual”, les températures pourront grimper jusqu’à 4.2-5.4°C d’ici 2100. Une grande partie des pays de la ceinture tropicale deviendra invivable sur toute l’année.

En France, une dizaine de jours chaque année seront létaux à cause des conditions climatiques.

En 2003, la France a subi une canicule extrêmement dévastatrice, du fait des conséquences de la chaleur sur la population, mais aussi du manque de préparation des autorités sanitaires qui se sont retrouvées débordées. 14 800 morts ont été recensés.

Pour en savoir plus, Santé Publique France a publié une analyse sur ce sujet [4]

La chaleur dérègle le cycle de l'eau, vital pour notre agriculture, et donc pour nous

Notre terre, que l'on appelle la planète bleue, est majoritairement recouverte d'eau. Cependant, l'eau qui nous est utile et consommable provient de l'eau douce; beaucoup moins abondante. En réalité, c'est 0,025% de l'eau sur terre que l'on peut consommer [5].

Cette image représente 1) la quantité d'eau salée, 2) la quantité d'eau douce, 3) la quantité d'eau douce utilisable (le minuscule point). source

Un peu plus sur la disponibilité en eau:

Le cycle de l'eau est un phénomène important dans la compréhension des enjeux de l'eau. Lors de son cycle, l’eau s’évapore depuis la Terre vers l’atmosphère, condense dans l’atmosphère puis retombe sous forme de pluie/grêle/neige sur la Terre. Plus précisément, l'eau douce a deux origines : les rivières qui entrent sur le territoire, et la partie des précipitations rejoignant les cours d'eau et les nappes phréatiques (une autre partie se perd en rejoignant les océans) [6].

Un monde plus chaud signifie plus d’évaporation, donc moins d’eau douce liquide accessible sur Terre, auquel vient s’ajouter la distribution non-uniforme des précipitations. En France, les précipitations vont être réduites, ce qui va mécaniquement engendrer une baisse des quantités d'eau sur le territoire.

Cette diminution des précipitations, et cette augmentation de l'évaporation -entre autres celle par les végétaux (évapotranspiration)- réduisent les quantités d'eau douce sur le territoire.

*14% c'est la baisse moyenne sur la période 2002-2018 comparée à la période 1990-2001.

Pour les curieux, 197 milliards de m3 d’eau sont disponibles sur la métropole française

Il est tentant de penser pouvoir dépendre du dessalement pour répondre à la demande en eau. Une première réflexion sur le transport de l'eau, nécessaire pour les villes non côtières (comme Paris), souligne des problèmes de logistique, ainsi que de quantité.

Deuxièmement, le dessalement est un processus qui ne produit pas des quantités d'eau suffisamment importantes assez rapidement. Les productions mondiales d'eau provenant d'usines de dessalement représentent l'équivalent de 1/5 des ressources d'eau disponibles du territoire Français. [7]

Troisièmement, l'eau traitée par les usines de dessalement est beaucoup plus chère que l'eau douce (notamment parce qu'elle requière des grandes quantités d'énergie). Cela rejoint un quatrième point sur le fort impact environnemental des usines de dessalement. Avec une estimation de consommation d'énergie de 100TWh, les usines de dessalement, à l'échelle mondiale, seraient responsables des émissions de 76 millions de tonnes de CO2e en 2014.

Malgré ces points, la montée des eaux va conduire à la contamination des rivières par l'eau de mer, ce qui réduira les quantité d'eau douce disponible. Le Vietnam est un des pays déjà touché par cette problématique. Le dessalement restera donc nécessaire.

L'eau douce devient donc une ressource rare, qu'il est important de préserver.

Note à part sur le dessalement:

L'agriculture

Premier consommateur d'eau en France, l'agriculture est la première victime collatérale de la baisse de la quantité d'eau sur le territoire. Une culture avec moins d'eau cause une réduction de la production (=du rendement).

Le rapport du HCC détaille les facteurs aggravant les productions agricoles comme : (1) les hivers plus doux qui entraînent une exposition au gel tardif (2) l’augmentation précoce de l’évapotranspiration qui entraîne une sécheresse printanière au moment de la levée des semis (germination des graines) (3) des événements composites comme des hiver doux ou des printemps humides affectant la floraison et favorisant les maladies (4) les vagues de chaleur et sécheresses estivales, et (5) l’intensification de la variabilité du cycle de l’eau”.

Cela a pour conséquence la réduction des rendements agricoles.

*selon les types de culture, par rapport à la moyenne sur les 5 dernières années.

Par exemple, la production de maïs en 2022, est la plus faible depuis 1990, à cause des sécheresses. La production de fourrage (qui est un mélange de plantes destiné à l'alimentation des élevages) a subi une baisse de 30% par rapport à sa valeur moyenne sur les 5 dernières années.

Ces pertes sont importantes, remettent en question la dynamique des territoires européens, et soulèvent des enjeux quant à la souveraineté alimentaire de la France.

Les feux de foret

La diminution de l'eau sur le territoire augmente la sensibilité de la végétation au risque de feu.

Cela représente 135 000 terrains de football. Ces feux sont aussi responsables des émissions de 2.5 Mt de CO2.

⚠️ Cet article n'est pas une synthèse du rapport, ni une analyse, mais une présentation de quelques ordres de grandeur, présentés selon nos propres graphiques.

🚨 Environ 7 000 français sont morts en 2022 à cause de la chaleur anormalement élevée*

💧 En France, la quantité d'eau douce qui entre sur le territoire a baissé de 14%.*

🌾 L'agriculture observe une baisse de rendement de 10 à 30% en 2022.*

L’année 2022 a été à la fois l’année la plus chaude et l’une des deux années les moins pluvieuses en France depuis 1959, ces facteurs combinés sont propices à la sécheresse des sols et à un stress hydrique intense et prolongé pour la végétation.

🔥 72 000 hectares de forêt ont brulé en 2022 en France.

Nous sommes en retard par rapport à nos objectifs

Différents groupes d'experts ont élaboré des trajectoires nationales et européennes pour respecter nos objectifs des accords de Paris (limiter la hausse des températures bien en dessous de 2°C).

  • La Stratégie National Bas Carbone (SNCB) donne des orientations pour mettre en œuvre la transition vers une “économie bas-carbone, circulaire et durable”, et fixe des objectifs sur différents horizons (2030, 2050). Elle a été révisée en 2018-2019 et on utilise l'abréviation SNBC 2. [8]

  • Le Fit for 55 est un paquet de proposition de lois européen réévaluant les législations de l'UE pour réduire d'au moins 55% les émissions de gaz à effet de serre.

Le HCC évalue la trajectoire de la France selon ces deux rapports.

Certains des objectifs mis en avant dans le rapport sont répertoriés ci-dessous.

La baisse des émissions n'est pas au rendez-vous

Les émissions de gaz à effet de serre de la France ont diminué de 2.7% entre 2021 et 2022.

“La baisse des émissions de GES en 2022 est le résultat de fortes baisses dans les secteurs du bâtiment et de l’industrie, partiellement compensées par des hausses dans les secteurs de la transformation d’énergie et des transports.

Ces baisses sont notamment dues à un hiver plus doux (donc moins de chauffage), représentant deux tiers des baisses, et à des mesures de sobriété en réponse à la hausse des prix de l'énergie.

Cependant, la France est en retard quant aux objectifs définis.

📉 “Le rythme de réduction d’émissions brutes* de la France doit presque doubler pour atteindre les objectifs du paquet législatif européen Fit for 55 en 2030”.

Plus précisément, la baisse annuelle moyenne (2019-2022) est de 9,1 Mt CO2e. Les objectifs du paquet Fit for 55 requièrent une baisse de 17Mt CO2e par an sur la période 2023-2030.

*les émissions brutes représentent les émissions émises et ne prennent pas en compte les émissions captées pas les puits de carbone.

L'augmentation de production d'électricité renouvelable est très insuffisante

Pour répondre à la demande énergétique tout en diminuant nos émissions, il est indispensable de changer nos sources de production, notamment en minimisant l'utilisation d'énergie fossile, pour installer des sources dites bas carbone comme le solaire ou l'éolien. Cependant, les objectifs ne sont pas tenus :

⚡️ Le développement des énergies renouvelables est 3x plus lent que prévu par la SNBC 2.

L'augmentation de la production d'électricité renouvelable a augmenté de 2.8 TWh/an sur la période 2015-2022, alors que la SNBC 2 prévoyait une augmentation de 8.4 TWh/an. Le développement des parcs éoliens et solaires n'est pas suffisamment rapide.

Même si le secteur du bâtiment a vu ses émissions fortement baisser, le rythme de rénovation est très insuffisant.

Le secteur du bâtiment est un pilier important dans la transition énergétique car il est responsable d'une partie significative des émissions françaises (15,9%). Il est possible de réduire drastiquement ces émissions seulement grâce aux technologies actuelles (pour la rénovation des logis ou pour l'installation de chauffage plus propre). En 2022, l’Observatoire national de la rénovation énergétique estime à 5,2 millions de logements le nombre de passoires thermiques. En 2023, la France compte 37,8 millions de logements hors Mayotte [9].

Le rythme actuel de rénovation énergétique du parc résidentiel est très insuffisant.

🏠 66 000. C'est le nombre de rénovations en 2022. La SNCB 2 en prévoyait 370 000, donc 6x plus.

Même à un petit rythme, nous avançons

👮‍♀️Plus de 3 145 lois climatiques sont en place au niveau mondial, qui ont permis d’éviter d’émettre plusieurs milliards de tonnes d'équivalent CO2 par an.

📄138 recommandations faites par le Haut conseil pour le climat (en 2022)

  • 🔜 59 sont en cours ou prévues

  • 🟠 44 ont été reprises mais en partie seulement

  • 🟢 21 ont été entièrement accomplies

Conclusion

La France fait face à un changement climatique lourd de conséquences et se prépare à des scénarios extrêmes dont celui d'une augmentation des températures de +4°C sur le territoire [10]. Face à une crise d'une telle ampleur, il est crucial d'entreprendre des actions de transformation, et d'anticiper une politique de rupture.

Voici 8 ODG à retenir

Quelques unités avec comparaison

TWh: Le Tera Watt hour est une unité d'énergie qui correspond à 10^12 Wh. Pour comparer l'homme consomme en moyenne l'équivalent de 2,4 kWh soit 2400 Wh par jour. Donc 1 TWh c'est égal à l'énergie journalière de plus de 400 millions d'humains.

Mt: million de tonnes. 1Mt correspond donc à 12 500 humains de 80kg.

Ha: hectare. 1 hectare c'est un terrain de 100m par 100m donc une superficie de 10 000 m^2. Pour comparer 1 terrain de foot c'est 0.7 ha.

CO2e = CO2 équivalent (définition inspirée du GIEC) : L'émission en équivalent CO2 est la quantité émise de dioxyde de carbone (CO2) qui provoquerait les mêmes conséquences qu’une quantité émise d’un seul ou de plusieurs gaz à effet de serre (GES).

Sources

Le rapport en question: Haut Conseil pour le Climat. (2023). Acter l'urgence, engager les moyens.
https://www.hautconseilclimat.fr

[1] : IGN. (2023). Inventaire Forestier National.
https://inventaire-forestier.ign.fr/IMG/pdf/memento_2023.pdf

[2] : Ministère de l’Intérieur. (2022). Le bilan définitif de l’accidentalité routière en 2022 : La mortalité routière en France en 2022 avoisine celle d'avant la crise sanitaire. www.interieur.gouv.fr/actualites/communiques-de-presse/bilan-definitif-de-laccidentalite-routiere-en-2022-mortalite.

[3] : IPCC, 2023: Summary for Policymakers. In: Climate Change 2023: Synthesis Report. Contribution of Working Groups I, II and III to the Sixth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change [Core Writing Team, H. Lee and J. Romero (eds.)]. IPCC, Geneva, Switzerland, pp. 1-34, doi: 10.59327/IPCC/AR6-9789291691647.001

[4] : Santé Publique France. (2023). Estimation de la fraction de la mortalité attribuable à l’exposition de la population générale à la chaleur en France métropolitaine. ://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/climat/fortes-chaleurs-canicule/documents/rapport-synthese/estimation-de-la-fraction-de-la-mortalite-attribuable-a-l-exposition-de-la-population-generale-a-la-chaleur-en-france-metropolitaine.-application-a

[5] : Le centre d'information sur l'eau. L'eau douce: sa formation, ses réservoirs et les ressources disponibles. source

[6] : Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (2022). Évolutions de la ressource en eau renouvelable en France métropolitaine de 1990 à 2018.” [www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/evolutions-de-la-ressource-en-eau-renouvelable-en-france-metropolitaine-de-1990-2018]

[7] : Cabassud. C, (2023). Le dessalement des eaux, quand l’utiliser et à quel prix ? source

[8] : Ministère de la transition écologique et solidaire. (2020). La Transition Écologique et Solidaire Vers La Neutralité Carbone.
www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf.

[9] : Institut national de la statistique et des études économiques. (2023). 37,8 millions de logements en France au 1er janvier 2023. source

[10] : Garric, A. Le Monde. (2023) Adapter la France à une hausse de 4 °C en 2100 suppose un grand débat démocratique. source

Pour aller plus loin sur le sujet de l'eau:
Joassard, I., Bréjoux, E., Larrieu, C., Dequesne, J. « Eau et milieux aquatiques - les chiffres clés » , Édition 2020.
https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2020-12/datalab_80_chiffres_cles_eau_edition_2020_decembre2020_1.pdf