Pendant que la mer monte, nos villes s'enfoncent !

CLIMATENVIRONNEMENT

Elliot Lopez

12/16/20239 min read

boat on river between houses during daytime
boat on river between houses during daytime

L’humanité a toujours construit ses villes et villages à proximité de l’eau, aussi bien pour se fournir facilement en eau et en nourriture que pour bénéficier d’un avantage stratégique et d’une voie de communication facile. Mais alors que les océans montent à cause du dérèglement climatique, nos plus grandes villes côtières, elles, s’enfoncent ! Et ce qui a jusqu’alors été un avantage pourrait s’avérer dramatique dans les prochaines années !

Une étude publiée en 2023 s’est intéressée à l’évolution du niveau de la ville de New-York par rapport au niveau de la mer [1]. Une grande partie de l’île de Manhattan se trouve à moins de 2 m au-dessus du niveau de la mer, ce qui est inquiétant au vu des tendances actuelles de montée des eaux. Par ailleurs, l’étude montre que la ville de New-York s’enfonce, s’additionnant à ce processus et mettant en danger les 9 millions d’individus y habitant. L’étude s’intéresse à l’effet de la masse des bâtiments construits sur l’enfoncement des sols. A l’aide de données satellites, ils estiment que la ville de New-York contient plus de 1 million de bâtiments pesant en moyenne 700 tonnes répartis sur 778 km² d’aire urbaine, pour une masse totale de près de 750 millions de tonnes. A partir de ces données, les chercheurs ont estimé le taux d’affaissement de la ville, qui était en accord avec les données expérimentales d’environ 2 mm/an.


Cet enfoncement des sols est causé par une accumulation de facteurs géologiques naturels ou causés par l’activité humaine. Tout d’abord, des mouvements tectoniques viennent parfois modifier les sols, causant parfois des enfoncements. Des zones meubles (composées de matières molles comme l’argile) peuvent également se compacter en créant des affaissements de terrain. En plus de cela, de nombreuses cavités souterraines contiennent des fluides comme du gaz, du pétrole, ou encore de l’eau. A cause des activités de pompage de ces nappes phréatiques ou de ces réserves de gaz et de pétrole, ces cavités se vident, et créent des trous qui peuvent parfois brutalement s’effondrer. Enfin, le dernier phénomène entrant en jeu concerne les infrastructures construites par l’activité humaine, qui viennent alourdir la surface et contribuent à l’enfoncement des sols. Cette accumulation de facteurs est particulièrement problématique près des zones d’eau, où les sols sont généralement plus meubles et où l’eau s’infiltre facilement.

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Sources :

[1] Parsons, T., Wu, P.C., Wei, M, D’Hondt, S. (2023) The Weight of New York City: Possible Contributions to Subsidence From Anthropogenic Sources. Earth’s Future.

[2] Abidin, Z.H., Andreas, H., Gumilar, I., Sidiq, T.P., et al. (2015) Environmental Impacts of Land Subsidence in Urban Areas of Indonesia. FIG Working Weeks 2015 Bulgaria.

[3] Wu, P.-C., Wei, M. (M. ), & D’Hondt, S. (2022). Subsidence in coastal cities throughout the world observed by InSAR. Geophysical Research Letters, 49, e2022GL098477.

[4] World Meteorological Organization (WMO) (2023). Etat du climat mondial en 2022. OMM n°1316 Genève.

[5] Wuebbles, D.J., D.W. Fahey, K.A. Hibbard, D.J. Dokken, B.C. Stewart, and T.K. Maycock (eds.). (2017) Climate Science Special Report: Fourth National Climate Assessment. Volume I. U.S. Global Change Research Program (USGCRP).

[6] Welch, C. (2018) Hurricanes Are Moving Slower—And That's a Huge Problem. National Geographic.

[7] Nicholls, R.J., Lincke, D., Hinkel, J. et al. (2021) A global analysis of subsidence, relative sea-level change and coastal flood exposure. Nat. Clim. Chang. 11, 338–342.

[8] Naughten, K.A., Holland, P.R. & De Rydt, J. (2023) Unavoidable future increase in West Antarctic ice-shelf melting over the twenty-first century. Nature Climate Change.

[9] Esteban, M., Takagi, H., Jamero, L., Chadwick, C. et al. (2020) Adaptation to sea level rise: Learning from present examples of land subsidence. Ocean and Coastal Management, 189.


Glossaire :

Dilatation thermique : l’eau chaude occupe un volume légèrement plus important que l’eau froide. Avec le réchauffement des océans, on observe donc une augmentation du volume des océans, qui vient s’ajouter à la fonte des glaces et contribue à augmenter le niveau des mers.

Calotte polaire les calottes polaires sont des grandes étendues de glace continentale, qui forment donc d’immenses réserves d’eau solide. L’Antarctique et le Groenland en font partie. Leur fonte totale pourrait entraîner une augmentation du niveau des océans de près de 65 m.

Delta : embouchure d'un fleuve où les différents sédiments transportés le long du cours viennent former des dépôts souvent fragiles.

Submersion : on parle de submersion lorsqu’une masse inhabituelle d’eau venant des mers ou océans vient recouvrir une zone terrestre. Inondation ou invasion par la mer.

Inondation débordement d’un cours d’eau ou afflux massif d’eau par ruissellement, rupture de barrages… provoquant le recouvrement d’une zone terrestre.

Les ordres de grandeur à retenir, c’est que :

  • 60% de la population mondiale habite dans des zones côtières.

  • Parmi eux, ¼ vit en zone à risque, soit 15% de la population mondiale.

  • 350 millions de personnes environ devront être déplacées d’ici 2050.

  • Dans ces villes côtières, le niveau de l’eau augmente en moyenne de 6 millimètres/an.

  • La moitié de cette valeur est causée par la montée des océans, et l’autre moitié par l’enfoncement des villes.

Elliot, doctorant en interface chimie-biologie

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Partout sur Terre, les villes côtières s’enfoncent.

(A) Extrait des plans de la ville de New-York utilisés pour recenser le nombre de bâtiments présents dans les quartiers de Manhattan, Brooklyn et Queens. (B) La ville est ensuite modélisée par une carte de pression, calculée à partir du poids des bâtiments sur le sol. Les fortes pressions sont en rouge, et les plus faibles pressions en bleu. Provient de la référence [1].


De nombreuses villes sont déjà surveillées pour leur situation préoccupante : ce sont souvent des villes côtières subissant un essor démographique important, combiné à une situation économique souvent précaire. Ces phénomènes conduisent à un affaissement des sols causé notamment par l’absence de consolidation des fondations lors de la construction massive de nouveaux bâtiments d’habitation. Par exemple, Jakarta, la capitale de l’Indonésie, présente un taux d’affaissement des sols de près de 10 cm/an [2]. Ce rythme extrêmement élevé se retrouve aussi dans d’autres mégapoles d’Asie et d’Océanie comme Bangkok, Mumbai, ou encore Taipei [3]. En comparaison, le taux d’affaissement pour les villes côtières est de quelques millimètres par an en moyenne, cette moyenne étant relativement basse grâce aux villes côtières les mieux équipées où des dispositifs efficaces tels que des digues ou des renforcements de sols ont été mis en place.


Comment expliquer la montée des eaux et l’affaissement des villes ?

Par ailleurs, cette réorganisation des sols vient se cumuler au phénomène de montée des océans. Les scientifiques évoquent un rythme de montée valant entre 2.5 et 5 millimètres/an selon les sources, la moyenne actuelle étant estimée à environ 3.4 mm/an [4]. Bien que le phénomène de montée des eaux soit complexe, il s’explique principalement par deux causes. La plus importante est liée au réchauffement des océans dû au dérèglement climatique. L’eau chaude occupe plus de place que l’eau froide, ce qui conduit à une augmentation du volume des océans qu’on appelle la dilatation thermique*. La fonte des calottes polaires* et glaciers entraîne également la libération de grandes quantités d’eau douce qui participe aussi à l’augmentation du volume des océans. On estime que le niveau de l’eau pourrait monter de 50 cm à 2 m d’ici la fin du siècle par rapport à l’année 1990 [5] (voir nos vidéos sur la fonte des calottes polaires et la dilatation thermique).

Montée du niveau des océans depuis 1993. Le rythme de montée des océans s’est intensifié ces dernières années et vaut 3.37 millimètres/an à +4.62 millimètres/an. Au total, on estime que le niveau des océans a monté de près de 10 cm depuis 1993, et les prévisions annoncent une montée totale comprise entre 0.5 et 2 m en 2100 selon les scénarios [4]. D’après le WMO, 2023.

Des conséquences environnementales, économiques, et sociales désastreuses.

Dans les zones littorales menacées par la montée des eaux et l'affaissement des sols, plusieurs conséquences directes sont à prévoir. Par ailleurs, des zones plus reculées peuvent également subir de plein fouet les conséquences de la montée des eaux bien avant d'être directement exposées sur les côtes, car l'eau s'infiltre dans les sols et vient fragiliser les terrains, ce qui augmente les risques de glissements de terrain et favorise les inondations. A proximité des deltaset des lits des fleuves, les sols sont en général assez meubles, ce qui favorise ce type de phénomènes. En cas de débordement brutal d'eau, les conséquences sont multiples : 

  • Au niveau environnemental, un niveau moyen de l’eau plus élevé signifie un risque de submersionplus grand sur les côtes, et d’inondationdans les terres. L’arrivée de grands volumes d’eau peut aussi perturber l’écoulement des fleuves et rivières en déroutant leurs lits, voire même en provoquant des glissements de terrain.

  • Au niveau des infrastructures, ces différents risques environnementaux peuvent conduire à des dégâts matériels élevés en détériorant les routes, les habitations, les conduites souterraines…

  • Au niveau économique, outre un effet direct sur les habitants qui doivent reconstruire leur logement, cela se traduit aussi par une détérioration des zones cultivables alentour, et par la complication des activités économiques sur les zones touchées.

  • Au niveau social,  on constate aussi une dégradation de la qualité de vie des habitants de ces zones, avec des reconstructions de logements de fortune, une interruption des activités, mais aussi une diminution des conditions d’hygiène et un transport accru de potentielles maladies pendant les inondations.

  • De manière plus surprenante, des chercheurs ont également montré que ces zones inondables étaient également propices à la formation d’ouragans, et que la montée des eaux contribue à ralentir ces ouragans. Or, un ouragan ralenti restera plus longtemps dans une même zone, occasionnant davantage de dégâts [6].

Avec un scénario catastrophe de +2 m d’élévation du niveau des mers en 2100 et sans mécanismes de protections mis en place, une grande partie des Pays Bas pourrait être recouverte par les eaux, dont Amsterdam et Rotterdam. D'après https://www.floodmap.net/.

L’adaptation humaine permet de continuer à vivre dans ces zones menacées.

Ces phénomènes sont voués à augmenter en intensité du fait du dérèglement climatique. Or, près de 60% de la population mondiale vit près des côtes, et près de 15% près de côtes subissant des taux d'affaissement de plus de 10 mm/an. Pourtant, ces côtes dites “à risques” ne représentent que 0.5% de la longueur totale des côtes habitées sur Terre [7]. La population à risque est donc très importante, et grandissante du fait de la démographie active de ces villes, le plus souvent africaines, asiatiques, ou océaniennes. On estime que dans les années à venir, les phénomènes de montée des océans et d’affaissement des sols seront d'envergure similaire, menant à une estimation de près de 350 millions de personnes vivant en zone à risques en 2050. Ajoutons aussi qu’une étude récente a démontré que l’augmentation de la température des océans est inéluctable, et que même une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre dans les prochaines années ne suffirait pas à annuler ce phénomène [8]. Les villes côtières sont donc vouées à s’adapter pour contrer cette montée des eaux, ou seront contraintes de se déplacer et de rentrer dans les terres.

Sur une note plus optimiste, des exemples passés d’adaptation à des affaissements importants comme à Tokyo ou à Jakarta ont prouvé qu’il était possible de continuer à vivre dans ce genre de zones à risque [9]. Cela nécessite la mise en place d’infrastructures particulières comme des bassins de rétention, des systèmes de drainage, et des digues, mais ces dépenses restent rentables au vu des importantes pertes matérielles et humaines qu’elles permettraient d’éviter lors d’inondations ou de glissements de terrain. On peut aussi citer les Pays-Bas, qui ont mis en place un certain nombre de politiques d’aménagement du territoire en rapport avec l’eau, comme des digues ou des maisons flottantes.