Les écosystèmes de carbone bleu : un allié naturel dans la lutte contre le changement climatique

BIODIVERSITÉCLIMATENVIRONNEMENT

Antoine Le Vilain

12/9/20236 min read

Lorsque l’on parle de lutte contre le changement climatique et de séquestration du carbone, c’est-à-dire de son stockage à long terme en dehors de l’atmosphère, on pense bien souvent aux forêts, comme en témoigne le traitement médiatique dont fait l’objet leur destruction. Pourtant, il existe un autre type d’écosystème*, moins connu mais tout aussi crucial et en danger : les écosystèmes de carbone bleu. Ces écosystèmes côtiers marins, à savoir les mangroves, les marais salés, et les herbiers marins, sont de véritables champions dans le stockage du carbone, surpassant souvent les forêts dans cet exercice. Malgré leur importance capitale, ils restent sous-estimés et très peu médiatisés.

Une nouvelle perspective pour le carbone : vert et bleu

Le concept de « carbone bleu » a été introduit pour la première fois en 2009 dans un rapport du programme pour l’environnement de l’ONU avec pour objectif de mettre en avant le rôle significatif joué par ces écosystèmes côtiers, en plus des forêts, dans le stockage du carbone [1]. Le carbone stocké par les forêts étant décrit comme « vert ». Par extension, le terme de « carbone bleu » peut désormais désigner au sens large l’ensemble du carbone stocké par les écosystèmes marins. Les ordres de grandeur ainsi que les faits exposés tout au long de cet article se limitent à la définition stricte de « carbone bleu », c’est-à-dire au carbone stocké dans les mangroves, les marais salés et les herbiers marins. Les chiffres sont encore plus impressionnants lorsque l’on considère la totalité de l’océan !

Les écosystèmes de carbone bleu fournissent de nombreux services écosystémiques à travers le monde

On retrouve ces écosystèmes de carbone bleu le long des côtes du monde entier. En particulier, les herbiers marins sont présents des eaux polaires froides jusqu’aux tropiques, les mangroves sont confinées aux zones tropicales et subtropicales, tandis que les marais salés se situent principalement dans les régions tempérées.

En plus d’être d’importants lieux de stockage du carbone, les écosystèmes de carbone bleu fournissent de nombreux autres services écosystémiques*, influençant ainsi les moyens de subsistance de millions de personnes [2]. Ces écosystèmes marins côtiers abritent une multitude d’espèces d’animaux, de plantes et de microorganismes. Cette riche biodiversité est non seulement une valeur en soi, mais elle soutient également la pêche et le tourisme. Ils jouent aussi un rôle de barrière naturelle qui limite les effets des tempêtes, des inondations, de l’érosion et de l’élévation du niveau de la mer.

Répartition mondiale des mangroves (« Mangroves »), des marais salés (« Salt Marsh ») et des herbiers marins (« Seagrass »). On retrouve ces écosystèmes le long des côtes. Source : Pendleton et al. 2021.

Des puits de carbone colossaux : le poids des écosystèmes de carbone bleu

A l’échelle mondiale, les écosystèmes de carbone bleu enfouissent chaque année une quantité de carbone dans leurs sédiments* marins, qui jouent un rôle comparable à celui des sols forestiers, similaire à celle des forêts dans leurs sols*, bien que leur étendue représente moins de 3% de celle des forêts. De plus, ils occupent seulement 0,2% de la surface des océans, mais contribuent à plus de 50% de l’enfouissement du carbone dans les sédiments marins [3].

En fait, une grande partie du carbone stocké dans les forêts se trouve dans les tissus végétaux (voir notre vidéo à ce sujet) et sera donc relargué dans l’atmosphère à la mort des arbres, alors que pour les mangroves, les marais salés et les herbiers marins, le carbone solide est majoritairement enfoui dans les sédiments pour des centaines voire des milliers d’années.

Ces grandes quantités de carbone stockées s’expliquent par la forte productivité de ces écosystèmes, c’est-à-dire par leur capacité exceptionnelle à absorber le CO2 de l’atmosphère pour le convertir en biomasse*. Aussi, ces écosystèmes piègent les particules de carbone en suspension dans l’eau, ce qui, du fait de leur position à l’interface terre-océan, leur permettent d’accumuler du carbone produit dans d’autres écosystèmes. Tout ce carbone est ensuite enfoui au sein des sédiments dans des conditions qui limitent sa dégradation et donc, in fine, son relargage sous forme de CO2 dans l’atmosphère [2].

Les écosystèmes de carbone bleu se trouvent à l’interface terre-océan, ce qui explique en partie leur forte capacité à stocker le carbone. Le carbone (en bleu) provenant des écosystèmes terrestres en amont, comme les forêts, va être piégé par les marais salés (« Tidal marshes »), les mangroves (« Mangroves ») ou les herbiers marins (« Seagrass ») en aval. Une fois piégé, le carbone est enfoui dans les sédiments et protégé pour des centaines voire des milliers d’années. Source : Macreadie et al. 2021.

Les écosystèmes de carbone bleu déclinent partout dans le monde

Malheureusement, on observe une disparition rapide des écosystèmes de carbone bleu à travers le monde depuis des siècles du fait des activités anthropiques*. Les principaux facteurs responsables de ce déclin sont le changement d’utilisation des terres et des mers (principalement pour l’agriculture et l’aquaculture), la pollution, les espèces invasives et le changement climatique. On estime qu’ils ont entraîné la disparition de 25 à 50% de la surface occupée par ces écosystèmes. Ce déclin se poursuit aujourd’hui à un rythme effréné avec des pertes estimées à 0,5 – 3% de la surface totale par an. A ce rythme-là, 30 à 40% des marais salés et des herbiers marins et près de 100 % des mangroves pourraient disparaître au cours des 100 prochaines années [4]. Malgré ces faits alarmants, seulement 1,5 % des écosystèmes de carbone bleu étaient inclus en 2018 dans des aires marines protégées [2].

Les écosystèmes de carbone bleu constituent un levier d’action naturel pour lutter contre le changement climatique

A partir du rythme actuel de déclin des écosystèmes de carbone bleu, des flux de CO2 associés à leur dégradation et de la surface potentiellement disponible pour les restaurer, il a été estimé que la protection des écosystèmes existants et une restauration à grande échelle pourraient nous permettre d’éviter l’équivalent de 3% des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2030 [2], soit environ les émissions mondiales du transport aérien.

Les écosystèmes de carbone bleu pourraient donc constituer un levier d’action naturel pour lutter contre le changement climatique, en plus de fournir de nombreux autres services écosystémiques. Les chiffres de leur déclin sont alarmants, la disparition de ces écosystèmes marins serait non seulement une perte pour la biodiversité, mais aussi un coup dur pour atteindre nos objectifs climatiques.

L’ordre de grandeur à retenir, c’est que la protection des écosystèmes de carbone bleu existants, ainsi que leur restauration à grande échelle, pourraient nous permettre d’éviter l’équivalent de 3% des émissions annuelles mondiales de gaz à effet de serre d’ici à 2030, soit environ les émissions mondiales du transport aérien. Malgré cela, du fait des activités anthropiques, 30 à 40% des marais salés et des herbiers marins et près de 100 % des mangroves pourraient disparaître au cours des 100 prochaines années.

Antoine, doctorant spécialisé dans la dynamique du carbone bleu dans les écosystèmes d’herbiers marins

Glossaire :

Activités anthropiques : Actions et interventions humaines qui ont un impact sur l’environnement naturel.

Biomasse : Matière organique qui provient d’êtres vivants. En termes simples, cela correspond à tout ce qui était vivant ou faisait partie d’un être vivant.

Écosystème : Ensemble des êtres vivants au sein d’un environnement qui interagissent entre eux et avec celui-ci.

Services écosystémiques : Ensemble des services fournis à la société par les écosystèmes, comme par exemple la pollinisation.

Sols/Sédiments : Le substrat des forêts est le sol tandis que pour les écosystèmes de carbone bleu ce sont les sédiments, ces couches de particules au fond de l’eau, qui leur servent de base.

Sources :

[1] Nellemann C., et al. (eds) Blue Carbon. A Rapid Response Assessment. United Nations Environment Programme (GRID-Arendal, 2009).

[2] Macreadie, P. I. et al. Blue carbon as a natural climate solution. Nat Rev Earth Environ 2, 826–839 (2021).

[3] Duarte, C. M., Losada, I. J., Hendriks, I. E., Mazarrasa, I. & Marbà, N. The role of coastal plant communities for climate change mitigation and adaptation. Nature Clim Change 3, 961–968 (2013).

[4] Pendleton, L. et al. Estimating Global “Blue Carbon” Emissions from Conversion and Degradation of Vegetated Coastal Ecosystems. PLoS ONE 7, e43542 (2012).