La France au bord de la faillite, vraiment ?

ÉCONOMIE

Antoine Le Vilain

4/20/20248 min read

L’annonce du dérapage du déficit public par l’INSEE*, à 5,5% du produit intérieur brut* (PIB) au lieu des 4,9% prévus par le projet de loi de finance du gouvernement, a eu l’effet d’une bombe dans la sphère politico-médiatique [1]. Le sujet fait la une de tous les médias et oblige les responsables politiques de tous bords à se positionner, comme en témoigne l’intervention en catastrophe du premier ministre Gabriel Attal au journal télévisé de TF1 au lendemain de cette annonce pour rassurer sur la trajectoire des finances publiques [2]. Cette séquence fait suite à celle des 10 milliards d’euros d’économie annoncés par le ministre de l’économie Bruno Le Maire au mois de février après la revue à la baisse de l’estimation de croissance pour 2024 par le gouvernement [3]. Sujet d’attention médiatique et politique, les finances publiques et leur état semblent donc jouer un rôle prépondérant dans le débat public actuel après une période de relative accalmie à la suite de la crise du Covid-19 et du “quoi qu’il en coûte”*.

Pour pouvoir se positionner sur ce débat majeur d’intérêt général qui paraît très abstrait, ou à minima essayer de l’appréhender, il est essentiel de comprendre d’abord de quoi on parle. Prenons donc le temps de définir le vocabulaire et d’essayer de se représenter ce à quoi cela correspond en termes d’ordres de grandeur.

Définitions : administrations publiques, solde, déficit et dette

Pour aborder le concept de “finances publiques” ou de “déficit public”, il est essentiel de clarifier ce que l’on entend par “public”. Ce terme fait référence aux “administrations publiques”, qui englobent l’Etat mais pas seulement, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Les administrations publiques comprennent aussi les collectivités territoriales, c’est-à-dire les communes, les départements et les régions, ainsi que la sécurité sociale (allocations familiales, assurance maladie, retraites, etc) [4]. Lorsqu’on parle de dette publique on ne parle donc pas uniquement de l’Etat !

Ensuite, il nous faut définir la notion de “solde”, dont le déficit dépend directement. Le solde correspond à la différence entre les recettes publiques (pour l'essentiel les impôts et les cotisations sociales) et les dépenses publiques (rémunérations des fonctionnaires, prestations sociales, etc). Lorsque le solde est négatif, c’est-à-dire que les recettes sont inférieures aux dépenses, les administrations sont en déficit (la situation inverse correspondant à un excédent) et la France doit emprunter pour combler le trou. C’est l’accumulation de ces emprunts au cours du temps qui constituent ce qu’on appelle la dette.

En fait, Il faut penser au déficit comme à un flux, c’est-à-dire une quantité qui se mesure sur une période de temps donnée, comme l’eau qui coule d’un robinet. Chaque année, si les administrations publiques dépensent plus qu’elles ne reçoivent, elles créent un flux négatif appelé déficit. La dette, en revanche, est un stock, ce qui signifie qu’elle représente la quantité totale accumulée jusqu’à présent, un peu comme une baignoire qui se remplit au fil du temps. Chaque année de déficit ajoute plus d’eau dans cette baignoire, autrement dit augmente la dette.

Evolution de la dette et du déficit

Fin 2023, la dette publique de la France s’établissait à 110,6% du PIB, soit 3 101,2 milliards d’euros. La dette a augmenté graduellement depuis le début des années 80 avec deux paliers notables suite à la crise des subprimes* en 2008 et à la pandémie de covid 19. Le déficit public lui est de 154 milliards d’euros en 2023, soit 5,5% du PIB [1]. Le dernier excédent budgétaire remonte à 1974 [5] !

Si les administrations publiques ne dégagent pas d’excédent depuis si longtemps, comment peuvent-elles rembourser les emprunts qu’elles ont contractés ? Contrairement à un ménage qui a une durée de vie limitée, les administrations publiques sont considérées comme étant “immortelles”. Cela signifie qu’elles peuvent continuer à emprunter de l’argent indéfiniment pour rembourser le montant initial de leurs dettes passées (le principal), tout en ne s’acquittant que des frais supplémentaires liés à l’emprunt (les intérêts). En d’autres termes, elles ne remboursent jamais entièrement leurs dettes mais les renouvelles constamment. C’est ce qu’on appelle “faire rouler la dette”.

La charge de la dette désigne le coût annuel que la France doit verser pour sa dette. En raison de la pratique consistant à rouler la dette, ce montant correspond au paiement des intérêts. Grâce à des conditions d’emprunts plus favorables qu’avant, c’est-à-dire des taux plus faibles qui s’expliquent par le contexte économique mondial, la charge de la dette supportée par la France a diminué ces 30 dernières années malgré un endettement en % de PIB qui a continué d’augmenter ! Elle est passée de plus de 3% du PIB dans les années 90 à 1,8% du PIB en 2023 [6]. Cela veut dire que la dette nous coûte près de 2 fois moins cher, relativement à notre richesse nationale, à rembourser qu’il y a 30 ans.

La France, un ménage surrendété ?

La soit disante nécessité de gérer les finances publiques comme une famille le ferait revient souvent dans le débat bien que les administrations soient intrinsèquement différentes des ménages notamment grâce à la possibilité qu’elles ont de rouler la dette à l’infini.

Malgré cela, prêtons nous au jeu de la comparaison. Pour les ménages, il est usuel de ramener l’endettement aux mensualités de remboursement et de les comparer aux revenus, c’est ce qu’on appelle le taux d’endettement. En général, on considère que ce taux d’endettement ne doit pas dépasser 35%, sinon le risque de défaut de remboursement est trop important, ce qui permet aux établissements bancaires de calculer la capacité d'emprunt maximale des ménages. Un ménage qui serait endetté au taux maximum, c’est-à-dire 35%, pour une durée de 20 ans, soit environ la durée moyenne d’un crédit immobilier [7], possèderait une dette totale de 700% de son revenu annuel ! Ramener la dette totale, un stock, au revenu annuel, un flux, c’est exactement ce que l’on fait lorsqu’on compare la dette de la France à son PIB. Notre dette de 110,6% du PIB paraît bien maigre à côté de ces 700%.

Toujours pas convaincus ? On peut refaire ce calcul mais dans le sens inverse, et déterminer le taux d’endettement de la France à la manière d’un ménage. En divisant la dette totale de la France par la durée d’échéance moyenne de ses emprunts, 8,5 ans [6], on obtient la part du PIB qui serait consacrée aux mensualités théoriques de remboursement, soit environ 13%. Cela veut dire que si la France décidait de ne plus emprunter pour faire rouler sa dette et se concentrait uniquement sur son remboursement, elle devrait allouer chaque année 13% de sa richesse nationale (PIB) à cette fin. Ce taux est bien plus bas que le seuil de 35% considéré comme maximal pour les ménages. On voit donc bien que la comparaison entre un ménage et un pays ne tient pas lorsqu’on parle de finances publiques.

La dette de la France a diminué en % du PIB en 2023

Malgré un déficit constaté supérieur à celui attendu et le climat catastrophiste ambiant, la dette de la France a diminué en 2023 relativement à son PIB notamment grâce à l’inflation*. Cela s’explique par le fait que l’endettement est défini comme étant la valeur totale empruntée divisée par le PIB d’une année donnée. Or, en période d’inflation, la valeur de l’euro diminue, ce qui conduit à une augmentation de la valeur des choses, et donc à une augmentation totale de la valeur de la production française, c’est-à-dire du PIB. Puisque les sommes précédemment empruntées conservent la même valeur en euros, le rapport de la valeur totale empruntée sur le PIB diminue. Cette perte de valeur relative des anciens emprunts par rapport au PIB, combinée à la croissance* de celui-ci, a plus que compensé les nouveaux emprunts de 2023 pour faire face aux déficits. Il convient donc de s’interroger sur la faillite annoncée de la France au regard de ces chiffres.

Évolution du déficit public et de la dette publique depuis 2019. Malgré un déficit de 5.5% de PIB en 2023, la dette publique a diminué de 111.9% à 110.6% du PIB. Source : Insee, DGFIP, DGTrésor, notification de mars 2024.

Néanmoins, le sujet des finances publiques est complexe et met en jeu de nombreux autres facteurs. Il est tout de même important d’avoir ces notions et ces ordres de grandeur en tête pour pouvoir aborder le débat.

Les ordres de grandeur à retenir, c’est que :

  • Le déficit public de la France s’est établi à 5,5% du PIB en 2023 ;

  • La dette publique s’élève à 110,6% du PIB soit 3 101,2 milliards d’euros ;

  • Le coût annuel actuel de la dette est de 1,8% du PIB, près de 2 fois moins cher qu'il y a 30 ans ;

  • Si l’on calculait le taux d’endettement de la France comme un ménage, celui-ci serait d’environ 13%, bien loin du taux maximum de 35%.

Glossaire :

INSEE : Institut national de la statistique et des études économiques. Organisme responsable de la production, de l’analyse et de la publication des statistiques officielles en France.

Produit intérieur brut (PIB) : indicateur économique quantifiant la valeur totale de la production de richesse annuelle à l’intérieur d’un territoire.

“Quoi qu’il en coûte” : expression faisant référence au soutien financier de l’Etat à l’économie française pendant la crise du Covid-19.

Crise des subprimes : crise financière mondiale de 2007-2008 ayant pour origine le secteur des prêts hypothécaires aux États-Unis.

Inflation : perte de pouvoir d’achat d’une monnaie qui se traduit par une augmentation générale et durable des prix.

Croissance : augmentation du produit intérieur brut (PIB) entre deux périodes.

Sources :

[1] https://www.insee.fr/fr/statistiques/8061907

[2] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/27/gabriel-attal-au-20-heures-de-tf1-ce-qu-il-faut-retenir-de-l-interview-du-premier-ministre_6224523_823448.html

[3] https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/18/bruno-le-maire-annonce-10-milliards-d-euros-d-economies-supplementaires-des-cette-annee_6217223_823448.html

[4] https://www.fipeco.fr/fiche/Les-administrations-publiques-de-la-comptabilit%C3%A9-nationale

[5] https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/la-france-est-elle-vraiment-en-deficit-depuis-plus-de-40-ans_3605507.html

[6] https://www.fipeco.fr/fiche/La-charge-dint%C3%A9r%C3%AAts-de-la-dette-publique#:~:text=2

[7] https://www.lobservatoirecreditlogement.fr/derniere-publication-trimestrielle#:~:text=Au%204%C3%A8me%20trimestre%202023%2C%20la,stable%20depuis%20le%20printemps%20dernier.

Évolution de la dette au cours du temps. Source : INSEE.

Antoine Le Vilain

Doctorant en écologie

Nos derniers articles